Finies les études, on s’expatrie à New York, Londres ou Hongkong, mais aussi dans les terres aux marges. En Amazonie par exemple. Dans le cadre d’un volontariat international en ­entreprise, je travaillais avec des artisans dans un village à la fin de la route. Devant ma moustiquaire, s’ouvrait la ­forêt vierge. Des mouvements incessants : la nature à l’heure de pointe. 

L’exotisme, me disais-je, c’est ce paysage qui grouille. Dormir en hamac, se laver dans le fleuve, boire la chicha : qu’importe le pittoresque des hommes. On peut vivre loin du lieu de sa naissance et ne jamais rêver dans une langue étrangère. Depuis longtemps, les évangélistes avaient converti les habitants au message du Christ. Et cela faisait deux ans que l’État avait installé ses fils électriques. Je donnais des cours de gestion, mes élèves maîtrisaient la comptabilité en partie double. Nous parlions le même dialecte, celui du profit.

Mais, voilà qu’un soir, alors que nous réfléchissions ensemble aux variations des cours du cacao, le chef du village leva des yeux inquiets vers un ciel rempli d’étoiles et m’interrogea : « Sais-tu s’ils vont nous attaquer bientôt, les Hommes de la Lune ? »

La beauté réside dans la découverte d’une inépuisable différence. En toute contrée, à l’étranger comme au coin de la rue, dans le mystère qui nous sépare du réel et de nous-mêmes. Ne pas prétendre le résoudre ; se fondre dans ­l’ailleurs, c’est servir d’engrais au monde et disparaître. Salut plutôt à cette étrange sensation : toujours surpris, n’être nulle part chez soi. 

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