Briser les chaînes de contamination en identifiant les personnes ayant été en relation avec un patient positif… Le contact-tracing (« recherche des contacts ») est la technique habituelle pour enrayer la propagation de toute épidémie. Il a été au cœur de la lutte contre le Covid-19 depuis février, prenant la forme d’appels téléphoniques et de visites à domicile dans les différents foyers de contamination. Ce traçage a néanmoins été mis en sommeil pendant le confinement. Il ressurgit à grande échelle, avec un volet numérique, pour faire face aux mouvements de populations déconfinées. Le ­projet d’application pour smartphones, StopCovid, prévu pour accompagner la sortie d’épidémie, a suscité de nombreux débats, à tel point que son examen par l’Assemblée a été repoussé au 27 mai. Répondant à un protocole d’exploitation anonymisé fondé sur la technologie Bluetooth, l’application est censée signaler aux personnes l’ayant téléchargée qu’elles ont croisé un malade positif au coronavirus.

« Une telle articulation avec le numérique est inédite dans la lutte contre les épidémies, explique Emmanuel Baron, directeur d’Épicentre, le centre épidémiologique de Médecins sans frontières. Il y avait eu des expériences pour Ebola, mais c’était plus de la transmission d’informations, parfois par SMS. » L’épidémio­logiste de ­l’Inserm assure pour sa part que StopCovid constitue un apport non négligeable par rapport aux méthodes de traçage physique à l’ancienne : « L’application peut être utile dans les transports, par exemple, en nous permettant de mettre au courant des personnes qui y ont croisé un cas positif. Sans cela, elles n’auraient jamais été prévenues. »

Pour Anne-Sophie Ronnaux-Baron, médecin responsable du pôle régional de veille sanitaire à l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui a coordonné le traçage des premiers foyers de contamination en Haute-Savoie, « il était prématuré d’en parler si tôt. Il aurait fallu d’abord mesurer les difficultés de mise en œuvre. Et de toute façon, cela ne peut remplacer le contact physique ». Le 26 avril, la CNIL a d’ailleurs conditionné le déploiement de l’application à son intégration à « une stratégie sanitaire globale ». Difficulté supplémentaire, le succès de StopCovid ne peut que reposer sur la confiance que lui accorderont les utilisateurs, puisqu’il leur revient de télécharger volontairement l’application. Le 14 mai, un sondage commandé par Data Publica nous apprenait que, si 59 % des Français étaient favorables au traçage, 49 % seulement avaient l’intention d’installer StopCovid sur leur smartphone. En outre, 25 % des adultes – principalement des seniors – ne disposent pas de smartphone.

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a expérimenté depuis la mi-avril, sous l’autorité du Pr Piarroux, une initiative de traçage en Île-de-France. Baptisée Covisan, elle sollicite peu le numérique, mais s’appuie sur des binômes qui se déplacent à domicile pour tester les cas contact et les aider à s’isoler. À l’échelle du pays, le gouvernement a préféré confier cette mission à l’Assurance maladie. Ce système, qui repose principalement sur le téléphone, pourrait être complété, en cas d’adoption, par StopCovid. Médecins généralistes et hôpitaux sont chargés d’adresser les patients positifs aux organismes de l’Assurance maladie, qui identifient alors les cas contact. Lorsque se présente un risque de foyer de contamination complexe, les ARS prennent le relais. L’Assurance maladie met en place des « brigades » qui s’appuieront sur deux fichiers informatiques distincts : le SI-DEP, pour les résultats des tests, et Contact-Covid, pour les données de santé des patients. Ce ­dernier fichier pourrait poser des problèmes en matière de respect du secret médical, les informations relatives aux patients étant saisies par les membres des brigades, qui ne sont pas tous des professionnels de santé.

« On est dans le cadre du secret médical partagé. Ces réserves ne me semblent pas fondées, objecte la Dre Ronnaux-Baron. Les brigades ont été formées, et toutes les informations qu’elles reçoivent ne doivent être partagées qu’avec les professionnels de santé avec qui elles travaillent. » Y ont accès les agents du ministère de la Santé, les ARS, des médecins ou encore les laboratoires. Le dispositif est encadré par les règles européennes de protection des données, le RGPD, et ces fichiers devraient être supprimés à l’issue de l’épidémie. Néanmoins, pour Anne Canteaut, chercheuse à l’Inria, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique qui coordonne StopCovid, la profusion d’acteurs habilités à manipuler ces fichiers augmente le risque de fuite d’informations inhérent au traçage. Selon elle, la duplication nécessaire au fonctionnement du système déconcentré rendra la destruction des données difficile. « On est trop dans l’urgence pour traiter de choses pas du tout anodines. Et revenir en arrière ne sera pas si facile. » 

 

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