Tout est une question de vêtement. Alors que le siècle passé avait consacré la fracture entre cols blancs et cols bleus, celui-ci pourrait creuser un nouveau fossé, cette fois entre « chaussures » et « pantoufles ». Longtemps resté une pratique minoritaire, hormis pour une poignée de cadres de l’informatique et quelques mères de famille nombreuse, le télétravail s’est imposé dans l’horizon national pendant quelques semaines. Pendant le confinement, environ un quart des salariés ont poursuivi leur activité à domicile, assumant à plein temps ce format nouveau, dans des conditions souvent acrobatiques. Et si pour certains l’expérience se conjugue au passé depuis le 11 mai, une bonne partie d’entre eux n’a pas encore repris le chemin du bureau. Le groupe PSA a annoncé sa volonté de pérenniser le télétravail tant que durera la crise du Covid-19. Et plusieurs géants du numérique, Google et Facebook en tête, ont déjà donné rendez-vous à leurs employés en 2021 pour un éventuel retour au bureau.

Dans l’affaire, chacun y trouve son intérêt. Pour les entreprises, une réduction des coûts immobiliers comme de leur empreinte environnementale. Pour les employés, des temps de transport moindres et une souplesse nouvelle dans l’organisation de leur journée, loin des open spaces et du présentéisme à la française. Beaucoup d’ailleurs y ont pris goût : une écrasante majorité de ceux qui ont expérimenté le travail à distance durant ce printemps reclus ont exprimé le souhait de poursuivre sur ce modèle, au moins quelques jours par mois ou par semaine.

Le télétravail ressort dès lors comme l’un des (rares) gagnants du confinement, une option privilégiée par les apôtres du monde d’après. On aurait tort, pourtant, de voir dans les semaines passées le prototype du travail des prochaines années. Comme le rappelle la sociologue Danièle Linhart dans l’entretien qu’elle nous a accordé : « il ne faut pas tirer de leçons de l’expérience actuelle, très exceptionnelle, mais revenir au ressenti de ceux qui le pratiquaient avant le confinement ». Or, celui-ci dessine un tableau bien plus complexe, où l’autonomie le dispute à l’aliénation, sur fond de compétition entre salariés. Dans ce numéro du 1, nous avons convoqué juriste, économiste, psychologue et philosophe pour bien comprendre les enjeux derrière cet essor du travail à distance. Leurs conclusions se rejoignent sur un point : le télétravail ne peut être une solution miracle au mal-être professionnel d’une partie du pays. Mal encadré, il peut même favoriser le sentiment d’isolement, d’atomisation du lien social. Bref, la société du télétravail reste encore à inventer. Et à ce compte-là, il s’agirait de ne pas trop pantoufler. 

 

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