La diminution des émissions de CO2 et des polluants est un enjeu sociétal majeur. Le secteur du transport reste le plus gros contributeur en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) – 31 % du total –, et celles-ci continuent de croître. Maîtriser cette demande, en réduisant les déplacements, les distances parcourues ou les vitesses, serait l’une des clés d’une transition écologique réussie. Parmi les déplacements, ceux du quotidien, tout particulièrement ceux des actifs allant de leur domicile à leur lieu de travail, représentent l’un des principaux facteurs d’émissions de GES et polluants atmosphériques. Selon une récente étude réalisée par l’Insee à partir des données du recensement de 2015, la voiture est encore le mode de transport privilégié pour se rendre au travail, sauf en Île-de-France où les transports en commun la concurrencent. Sur 25 millions de personnes quittant leur domicile pour aller travailler, 18,6 millions (73 %) utilisent principalement leur voiture, 3,8 millions (14,9 %) les transports en commun, 2 millions (7,9 %) privilégient la marche à pied et 1,1 million (4,2 %) un deux-roues, motorisé ou non. Du point de vue des pratiques de mobilité, le contexte actuel de déconfinement progressif est porteur d’enjeux majeurs pour la suite : va-t-on assister à un plébiscite des modes actifs, du covoiturage ? à un retour massif de la voiture alimenté par une peur de la contamination dans les transports collectifs ? L’après-crise sanitaire bouleversera sans doute nos pratiques, et le télétravail pourrait s’avérer le grand gagnant de ces changements.

Alors qu’à peine 3 % des actifs le pratiquaient au moins un jour par semaine avant la crise, il s’est imposé à près d’un tiers d’entre eux, accélérant ainsi la mise à disposition de moyens, l’agilité dans le fonctionnement et l’installation de la confiance. Avant la période de confinement, selon les données recueillies par l’Observatoire des mobilités émergentes en 2018, 21 % des Français sondés avaient la possibilité d’ajuster le choix de leur lieu de travail, 62 % ne bénéficiaient pas d’horaires flexibles et 35 % devaient se déplacer en heure de pointe. Pour de nombreux actifs, les trajets vers le lieu de travail pouvaient être perçus comme du temps perdu et 59 % des sondés le ressentaient comme une contrainte. Mais cette expérience nouvelle du télétravail et sa poursuite dans les mois à venir seront-elles à la hauteur des bénéfices environnementaux directs que l’on en escompte en raison des déplacements évités ? Se traduiront-elles par une meilleure qualité de vie pour les intéressés ? Si on peut l’espérer, il reste à analyser les conséquences réelles de ce changement et à identifier ses éventuels effets rebond.

Le télétravail, qu’il soit réalisé à domicile ou en tiers lieux, supprime ou réduit les trajets effectués par les actifs, donc les émissions de CO2. D’après l’étude menée par l’ADEME en 2015, le télétravail permet de diminuer d’environ 30 % les impacts environnementaux associés aux trajets domicile-bureau. Ce gain atteint jusqu’à 58 % au niveau des émissions de particules en suspension (PM). Sur 2,9 jours télétravaillés par semaine –  la moyenne déclarée par les professionnels qui le pratiquent (dont beaucoup d’indépendants et d’autoentrepreneurs) –, cela représente une économie potentielle de 787 kilos d’équivalent CO2 par individu et par an (contre environ 12,2 tonnes au total par individu et par an). La réduction des kilomètres effectués entre le domicile et le lieu de travail est le principal facteur de ces gains environnementaux. En extrapolant à l’échelle d’une entreprise de 1 000 salariés, télétravailler un jour par semaine permettrait ainsi d’éviter l’équivalent des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’environ 37 personnes. Au niveau national, si la moitié de la population active télétravaillait 2,9 jours par semaine, on épargnerait à la planète l’équivalent des émissions de GES d’environ 366 000 Français !

Globalement, le bilan environnemental du télétravail est positif et permet une réduction des impacts environnementaux pour tous les indicateurs étudiés. Mais il ne faut pas pour autant négliger d’autres éléments, a priori contre-intuitifs, mis en évidence par l’Enquête nationale mobilités et modes de vie 2020 : « La pratique du télétravail est souvent pensée comme une solution pour éviter des déplacements domicile-travail et donc, pour réduire les temps et les distances de déplacement. Pourtant, il permet également de choisir un lieu de vie plus éloigné, ou d’accéder à des offres d’emploi plus lointaines sans avoir à déménager. Pratiqué occasionnellement (moins de deux jours par semaine), le télétravail augmente considérablement les temps et les distances de déplacement aussi bien pour le travail que pour les autres activités du quotidien. Le télétravail libère du temps pour d’autres déplacements et rend acceptables des déplacements domicile-travail plus importants car moins fréquents. Ces résultats sont inattendus et montrent qu’il semble difficile de faire du télétravail un levier pour la transition écologique sans mener une réflexion sur la manière dont le temps libéré est utilisé et sur les cadres de vie auxquels sa pratique donne accès. » D’autres externalités sont encore à prendre en compte : la relocalisation présente des bénéfices pour les territoires en quête de revitalisation, en zone peu dense ou périurbaine, via le renforcement des circuits courts et des réseaux de solidarité qui ont démontré leur grande efficacité lors de la période de confinement. L’ADEME a d’ailleurs lancé une étude, dont les résultats sont attendus pour la fin juin, afin de mieux appréhender ces éventuels effets rebond et d’identifier les impacts du confinement sur nos modes de vie et de consommation.

Le télétravail peut donc être un levier de la transition écologique, mais il doit s’associer à l’ensemble des mesures visant à réduire les émissions polluantes de gaz à effet de serre et le trafic routier : la promotion du vélo, avec la mise en place d’un stationnement sécurisé, de locaux pour les garer proposant quelques outils et services, mais aussi de douches pour les cyclistes, d’un forfait mobilité durable ou encore de l’achat d’une flotte de vélos à assistance électrique… D’autres mesures incitatives sont possibles : améliorer l’accès aux bâtiments pour les piétons, encourager l’utilisation des transports publics, proposer un forfait mobilité durable, ajuster les horaires de travail, faciliter l’installation à proximité du lieu de travail ou du réseau de transport en commun, offrir un service d’autopartage…

Les entreprises s’orientent en tout cas de plus en plus vers un développement du télétravail pour leurs salariés, et les réfractaires se marginalisent. Selon le ministère du Travail, le nombre d’accords a ainsi augmenté de 25 % en 2018 ; environ 60 % des métiers seraient éligibles. En outre, deux tiers des salariés français choisissent de plus en plus leur emploi en fonction des possibilités de télétravail. Celui-ci devient un avantage compétitif, voire une nécessité pour recruter. Et certaines entreprises qui n’y avaient jamais recouru avant le confinement souhaitent déjà que sa pratique se poursuive au quotidien.

Compte tenu de l’évolution de l’organisation du travail, le télétravail va donc devenir incontournable pour les entreprises qui peuvent le déployer. Elles n’y viendront peut-être pas pour des préoccupations écologiques, mais plutôt pour des raisons économiques : diminution des surfaces foncières, difficultés de recrutement, augmentation de l’efficacité des salariés lorsqu’ils travaillent à distance. Les nouvelles dispositions de la loi d’orientation mobilités pour les entreprises assujetties à un plan de mobilité employeur contribueront sans doute à accélérer le développement de cette pratique en permettant de la mettre en place et de l’organiser en passant par un accord collectif ou une charte sur le télétravail. 

 

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