Le Brésil partage avec la Biélorussie, le Turkménistan et le Nicaragua le douteux privilège de faire partie – selon le Financial Times – de l’« alliance des autruches », ces pays dont les dirigeants s’obstinent dans le déni du Covid-19. Son président, Jair Bolsonaro, a d’abord prétendu que ce n’était qu’une « petite grippe », puis s’est opposé aux mesures de confinement décidées par les États, avant de devoir reconnaître qu’il y avait réellement un sérieux problème et déclarer, le 28 avril, en faisant un jeu de mots sur son second prénom, Messias : « Je suis un messie, mais je ne fais pas de miracles. »

Car il a dû se rendre à l’évidence, l’épidémie a bien atteint le Brésil. On y compte déjà, selon les sources officielles, 78 162 cas confirmés et 5 446 décès au 29 avril, 26 158 et 2 247 dans le seul État de São Paulo. Les trois zones critiques sont le Nordeste, le Sudeste (principalement Rio de Janeiro et São Paulo) et l’État d’Amazonas (en particulier sa capitale, Manaus). Les deux premières étant aussi les régions les plus peuplées, il y a une certaine logique à ce qu’elles soient les plus touchées. La forte contamination à Manaus est peut-être une conséquence de l’implantation de nombreuses entreprises asiatiques dans sa zone franche. Les allers-retours de leurs expatriés ont pu importer le virus.

La répartition des cas de Covid dans le pays fait apparaître deux facteurs principaux dans la circulation du virus : la grande pauvreté et le rôle des protestants pentecôtistes. C’est ce que montre une analyse comparée de cartes*. Le nombre des personnes malades présente une grande similitude avec la carte de la répartition des personnes très pauvres (gagnant moins de la moitié du salaire minimum), nombreuses dans la région du Nordeste. De même que la répartition des cas de Covid-19 offre une très forte parenté avec celle des pentecôtistes (appelés au Brésil evangélicos). On comprend bien comment la pauvreté est un élément d’aggravation de la crise, mais pourquoi une forte proportion d’evangélicos serait-elle un facteur d’aggravation de la contagion ? Parce que beaucoup d’entre eux nient la gravité de l’épidémie, continuent à tenir leur culte en pensant que la protection divine suffira à leur éviter de tomber malades. Ils sont incités en cela par le président de la République qui, bien que catholique, s’est fait baptiser dans le Jourdain par un pasteur evangélico, et laisse entendre que « Dieu reconnaîtra les siens ».

C’est pour le moins imprudent si l’on en croit les scénarios établis spécifiquement pour le Brésil par l’étude The Global Impact of Covid-19 and Strategies for Mitigation and Suppression, menée par l’Imperial College de Londres. Elle concluait qu’avec un confinement de toute la population et des interactions réduites de 75 % dès 480 décès par jour, le nombre de morts pourrait être limité à un peu plus de 44 000. Mais la même étude précisait qu’on pouvait craindre de compter 576 000 morts avec une réduction des interactions de 41 %, et pas moins de 1 100 000 victimes sans aucune mesure de confinement (ce qui n’a heureusement pas été le cas).

Le moins que l’on puisse dire est que la gestion de la crise est chaotique. Le président de la République et les gouverneurs des États ont de graves désaccords sur la conduite à tenir, notamment sur l’opportunité et la durée du confinement. Jair Bolsonaro défie constamment les consignes de confinement données par les médecins et les gouverneurs des principaux États, serre les mains de ses admirateurs aussi fanatiques que lui et a jugé bon de limoger son ministre de la Santé en pleine épidémie, le 16 avril (puis son ministre de la Justice, le 24).

Cela fragilise évidemment toutes les tentatives de limiter les effets de l’épidémie. Devant ses errements, quelques-uns de ses alliés ont pris leurs distances, tandis que les députés et les sénateurs s’efforcent de mettre en place une aide aux plus pauvres. Elle serait bien modeste, 600 reais (un peu moins de 100 euros), et demeure pour le moment assez théorique : sa mise en œuvre est laborieuse, car il n’existe pas de cadastre des bénéficiaires potentiels.

Devant cette incurie, beaucoup de Brésiliens (habitués depuis des années à ne pas trop compter sur les services publics) ont décidé d’agir par eux-mêmes. C’est notamment le cas des habitants de la favela Santa Marta, à Rio de Janeiro, qui ont entrepris de désinfecter eux-mêmes les chemins par où passent ceux qui doivent aller travailler pour gagner, au jour le jour, un peu d’argent pour nourrir leur famille. 

 

* https://covidam.institutdesameriques.fr/covid-19-au-bresil-aggravants-scenarios-et-risques

 

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