Dans la Grèce antique, le prestigieux théâtre d’Épidaure côtoyait le sanctuaire d’Asclépios, le dieu qui pratiquait la médecine par les songes. Le jeu et le soin allaient en parfaite harmonie. Le Covid-19 aura réussi ce sinistre exploit de brouiller le lien entre notre corps et notre esprit. Se distancier pour guérir soit, mais comment jouer, peindre ou danser sans s’approcher ? Comment postillonner Racine ou Lagarce derrière des masques de fortune ? Faudra-t-il rebâtir un quatrième mur séparant l’acteur du spectateur ?

La crise actuelle pose d’infinis problèmes à un secteur culturel puissant (600 000 emplois), mais précarisé et morcelé : un été sans ces centaines de festivals qui innervent notre pays, c’est inédit mais quid de l’automne ? Les plus grandes salles de théâtre, de concert et les musées pourront-ils rouvrir en 2020 ? Quant aux salles de cinéma et de spectacle aux dimensions plus modestes, combien de temps survivront-elles avec deux tiers de sièges vides ? L’économiste Françoise Benhamou, le fondateur d’Arte, Jérôme Clément, et l’ex-directeur marketing de Deezer, Guillaume Pfister, nous éclairent sur cet incroyable big bang où le réel et le virtuel ont entamé un tango incertain. Notre chère exception culturelle survivra-t-elle à une année blanche ? Dans l’Allemagne décentralisée, les autorités ont annoncé 50 milliards pour la culture. En France, on en est encore à l’heure des soustractions, et l’absence de parole gouvernementale forte inquiète.

C’est une situation cruelle qui éprouve notre capacité à sublimer. Les effondrements ont enfanté de grands courants littéraires et artistiques, mais il nous faut patienter, passer le temps de la sidération, attendre de retrouver nos lieux de communion culturelle, pour mesurer ce que cette crise aura apporté aux choses de l’esprit. Pour l’heure, les balcons et les écrans sont investis d’une effervescence créatrice dont la journaliste Mathilde Serrell dresse la typologie. Les « gens de la culture » ne restent pas l’arme au pied : Bénédicte, la libraire de Noirmoutier, confectionne des « paniers de livres » qui, espère-t-elle, survivront au virus. Alexandra photographie sa banlieue sud comme jamais elle n’avait pris le temps de le faire. Alexis, manager bloqué dans une forêt glacée du Nord canadien, converse avec des musiciens du monde entier afin d’accueillir le déconfinement avec de nouvelles manières de porter les œuvres au public. Tous cherchent des mots, des sons et des couleurs pour demain, méditant la sagesse antique du philosophe Bernard Stiegler, « penser pour mieux panser ». 

 

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