Au fond, rien n’a changé. Il y a ceux qui se prennent des coups, et ceux qui ont des coups de mou. Ceux qui vivent un enfer, et ceux qui ne savent pas quoi faire. Ceux qui se plaignent d’être « en prison », et ceux qui rêvent d’avoir une maison. Sous le soleil, plus que jamais, rien de nouveau, le confinement est une congélation. Comme si la situation dans laquelle nous vivions au moment de fermer la porte pour la dernière fois se figeait pour l’éternité. La possibilité que le provisoire devienne définitif – n’est-ce pas ce qui nous glace ? Nietzsche en a fait un fragment devenu célèbre, dans lequel il imagine un démon lui proposer de revivre sa vie à l’infini sans y changer un seul détail. « Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ? » semble nous susurrer ce démon au moment d’ouvrir la porte du frigo ou de tenter de travailler sans être interrompu par les enfants pour la 145e fois de la journée.

La question est loin d’être une coquetterie. Pour le philosophe, elle est une manière d’interroger le rapport que nous entretenons à notre existence. Comment vivre de manière à être prêt à revivre chaque seconde ? Comment acquiescer à ce qui nous est imposé ? En période de confinement, la vie semble immuable. La répétition des jours et des nuits se fait plus pesante, et entre nos quatre murs, c’est face à notre propre vie mise à nu que nous nous trouvons. Aucune porte de secours : sans détour ni déni, l’insolence du réel nous saisit au ventre et nous flanque la nausée. On se dit que l’essentiel est ailleurs, que notre existence ne peut pas se réduire aux lavages de mains, aux devoirs et aux listes de courses. Et c’est vrai. Mais ce n’est pas nouveau. La seule chose que le confinement nous enseigne, c’est qu’il en a toujours été ainsi. Mais aujourd’hui, on ne peut plus fuir.

Et si ça devait durer ? Et si nous étions condamnés à ne plus bouger ? L’inlassable répétition du même jusqu’à la fin des temps. Plus d’imprévu, plus d’improvisation, aucun changement. L’idée est insoutenable – et heureusement, pas prévue au programme – mais efficace. Le démon de Nietzsche ne dit pas autre chose : imaginez que votre vie recommence exactement telle que vous l’avez vécue, un nombre incalculable de fois. Seriez-vous prêts ? Sinon, que voudriez-vous changer ? que vous manque-t-il pour pouvoir dire oui ? Le confinement est notre démon : il nous pose la même question. Cette vie que vous menez aujourd’hui, est-ce celle qui vous plaît ? Sinon, qu’est-il en votre pouvoir de changer ? Avec quelle (autre) personne auriez-vous préféré être confiné ? Le démon porte bien son nom, il nous fait voir ce que l’on ne voulait pas voir, mais dans l’histoire, c’est-à-dire dans notre histoire, il est secondaire. Ce qui compte, ce n’est pas qui pose la question, mais qui accepte ou non d’y répondre. Une injection de lucidité en intraveineuse qui rend le confinement insupportable même aux mieux lotis d’entre nous. De même que le confinement révèle des inégalités scandaleuses, la lucidité fait le tri entre ceux qui sont prêts et ceux qui ne le sont pas. Rassurez-vous : non seulement le démon n’existe pas, mais le confinement ne durera pas. 

 

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