Les inégalités dues au confinement renforcent les inégalités préexistantes, pense-t-on de prime abord. Les pauvres, avec des familles plus nombreuses, vivent dans des logements plus exigus que les gens aisés. La cohabitation accroît les tensions, en particulier les violences conjugales ou envers les enfants. À terme, comme on le voit à Wuhan, une épidémie de divorces risque de succéder à l’épidémie de coronavirus.

En y regardant de plus près, la situation est moins contrastée. Comme il est possible de déterminer le nombre moyen de pièces dont dispose une personne, grâce au recensement, on peut comparer la situation des catégories sociales. Les cadres et professions libérales sont mieux pourvus, avec en moyenne 1,85 pièce par personne, mais les professions intermédiaires ne sont pas loin avec 1,76 pièce, comme les ouvriers et employés avec 1,65. Quelles que soient les différences de structure des ménages, cet écart se retrouve à peu près. Prenons l’exemple d’un ménage de quatre personnes formé d’un couple dont l’homme est âgé de 30 à 49 ans et de deux enfants de moins de 18 ans : la famille vit en moyenne dans un logement de 5 pièces si l’homme est cadre, de 4,5 pièces s’il s’agit d’un ouvrier ou d’un employé.

La faiblesse des écarts entre professions s’explique par leur mode de vie. Les cadres résident plus fréquemment au cœur des grandes villes ou à proximité immédiate. Ils forment plus de 50 % des actifs à Paris, mais moins de 10 % dans les villages de moins de mille habitants. Au contraire, il ne reste que 5 % d’ouvriers à Paris, mais ils constituent 30 % de la population active dans les petites communes. Or, d’une part, les logements étant plus chers dans les grandes agglomérations, les cadres effectuent un arbitrage entre la dimension de l’habitation et la proximité du centre en faveur de ce dernier élément, alors que les ouvriers font un choix inverse. D’autre part, plus on s’éloigne des villes importantes, plus la proportion de maisons par rapport aux appartements s’accroît. Or, on compte en moyenne 1,5 pièce par personne en appartement et 2 dans une maison, un écart nettement plus important qu’entre le nombre de pièces dont jouissent les cadres et les ouvriers. Plus le nombre d’habitants de la commune est petit, plus la proportion de maisons est élevée, plus le coût du logement est faible et l’espace disponible important : 1,42 pièce en moyenne par personne à Paris ; 1,9 dans les villes moyennes ; 2,2 dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Les mêmes raisons économiques et le partage entre appartements et maisons expliquent en grande partie de fortes différences régionales. En Bretagne maritime, dans tout l’ouest et le nord du Massif central, entre Garonne et Pyrénées, en Lorraine et en Champagne, les ménages vivent dans des maisons et des appartements plus vastes. Au contraire, en région parisienne, lyonnaise, sur les bords de la Méditerranée, à Nantes, à Bordeaux, à Toulouse, les ménages sont plus à l’étroit, avec, en moyenne, une pièce de moins pour une famille de quatre personnes. Cette géographie est exactement celle des zones tendues, là où le logement est cher et la demande supérieure à l’offre. Une grande partie des zones détendues, où les logements sont plus spacieux, se trouve dans la fameuse diagonale du vide, qui a vu naître le mouvement des Gilets jaunes. L’éloignement des grands centres, la faible densité et la dépopulation qui caractérisent cet espace sont autant de facteurs qui permettent de se loger plus facilement et plus largement. Ce qui était un handicap se transforme en avantage en cas de confinement, sans compter que les pavillons, donc les logements avec jardin, sont plus fréquents en zone rurale.

Les différences géographiques ont une dernière cause importante : l’âge de la population. En effet, les écarts en matière de nombre de pièces par personne selon l’âge sont énormes. Un enfant de moins de 10 ans vit en moyenne dans un logement qui compte 1,15 pièce par personne, un adulte de 20 à 50 ans dispose de 1,5 pièce, une personne âgée de 70 à 90 ans de 2,7 pièces et, s’il n’est pas en institution, un nonagénaire a 3 pièces, presque le triple d’un enfant. Par une sorte de justice, ceux qui sont le plus menacés par le virus ont aussi les confinements les plus spacieux. Lorsqu’on dessine l’évolution du nombre moyen de pièces par habitant selon l’âge, le cycle de la famille française apparaît : petit espace jusqu’à 20 ans, augmentation légère entre 20 et 30 ans quand on quitte la famille, puis léger creux jusqu’à 50 ans, lié à l’arrivée d’enfants au foyer, montée rapide jusqu’à 70 ans avec le départ des enfants, stagnation jusqu’aux environs de 85 ans, puis dernière croissance de l’espace disponible par personne, à la suite des veuvages.

Ces froides statistiques ne disent pas toute la difficulté du confinement, qui dépend aussi d’éléments qualitatifs : état des relations familiales, configuration de l’appartement avec possibilité ou non d’isolement, balcons, bruits causés par les voisins, etc. Mais on voit au moins qu’une sorte d’inversion des handicaps se produit : ce sont les personnes les plus éloignées des centres et les plus âgées qui disposent de plus d’espace que les autres. Il ne faut pas oublier non plus que les différences de confinement soulèvent moins de problèmes à présent et dans un avenir proche que l’exposition ou non au risque de contagion, celui que courent les soignants, les commerçants de l’alimentation, la police, les routiers, les salariés des usines qui doivent continuer à produire. La prochaine fracture se produira à ce niveau et non à celui des différences de logement. 

 

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