LE CHESNAY (Yvelines). Droit dans sa blouse, le Dr Yves Lambert lève les yeux vers l’écran de contrôle fixé au mur. Sur un immense fond noir, des chiffres verts et rouges font état du nombre de victimes du coronavirus par pays depuis le début de la crise. « C’est la première fois que l’on est en mesure de suivre l’évolution d’une épidémie en temps réel », dit-il, la voix légèrement étouffée par son masque chirurgical. L’après-midi du mardi 17 mars 2020, le bilan global provisoire s’élevait à 185 067 cas confirmés, 7 330 morts et 80 237 malades rétablis ; la France comptait 6 664 personnes testées positives au virus et 175 décès.

Dans les locaux du Samu des Yvelines, au sein de l’hôpital André-Mignot, la tension monte progressivement depuis fin janvier. Les assistants de régulation médicale (ARM), chargés de prendre les appels, ont passé un mois et demi à répondre aux inquiétudes de Franciliens asymptomatiques de retour d’un voyage en Asie ou simplement d’un dîner au restaurant chinois, tout en continuant à traiter les urgences classiques comme les accidents de la route, les infarctus ou les AVC.

Jusqu’ici, rien de nouveau pour une structure d’urgence. Gérer une charge d’appels importante, savoir identifier les situations vitales et déterminer la nécessité d’une prise en charge constitue « le cœur du métier », rappelle le Dr Lambert, qui cumule une trentaine d’années d’expérience. Les ARM sont également habitués à la gestion des crises sanitaires. En période de grippe hivernale, le nombre d’appels émis vers la plateforme des Yvelines peut rapidement passer de 700 à 3 500 par jour. Mais depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les statistiques ont explosé comme jamais auparavant. À la veille de l’annonce du confinement général par Emmanuel Macron, dans la salle de régulation des Yvelines, les téléphones ont sonné près de 14 800 fois en l’espace d’une journée.

Si les équipes ont tenu le choc, c’est grâce à « la saine et nécessaire mobilisation » de toute la chaîne de soins, à « une vraie écoute » et à « une réponse globalement adaptée » de la part des différentes autorités desquelles dépend le Samu, estime le Dr Lambert. Au Chesnay, celle-ci s’est traduite par un net renforcement des effectifs, du matériel informatique et téléphonique qui a permis l’ouverture de deux cellules de crise en renfort de la salle de régulation habituelle. L’Union nationale des assistants de régulation médicale (UNARM) constate qu’à l’occasion de ce pic, les centres équipés d’un serveur vocal interactif s’en sont globalement mieux sortis que les autres. Ces derniers ont comme intérêt d’opérer un premier tri en contraignant les personnes appelant le 15 à composer un chiffre en fonction de leur pathologie. Ces serveurs ont permis aux équipes de gagner un temps précieux en dirigeant les urgences classiques vers le centre de régulation, et les suspicions de coronavirus vers les cellules de crise.

« Ce n’est pas parce que la situation est sous contrôle dans quelques centres Samu que les problèmes sont réglés », relativise Nicolas Tondellier, membre du bureau de l’UNARM. Les volontaires venus prêter main-forte aux assistants de régulation sont pour la plupart des bénévoles de la Croix-Rouge, des étudiants en médecine, des médecins retraités, qui ne sont « a priori pas voués à rester », explique le régulateur, qui craint un retour à la case départ, une fois la crise du Covid-19 passée. « Cela fait dix ans que l’on se serre la vis, que l’on gère la situation des Samu a minima, poursuit-il. Les équipes sont déjà extrêmement malmenées, on voit mal comment ça va tenir ces prochaines semaines. » En 2018, environ 35  millions d’appels ont été traités par les 2 300 personnels en poste dans l’Hexagone, d’après un rapport commandé par le ministère de l’Intérieur. Soit en moyenne un peu plus de 15 000 appels annuels par assistant, et des difficultés à répondre à chacun d’entre eux dans un délai inférieur à une minute. « Nous réclamons un plan Marshall de recrutement d’au moins 350 ARM », déclare Nicolas Tondellier, jugeant la situation « dramatique ».

Au Chesnay, l’équipe est relativement confiante. Le confinement généralisé, plus particulièrement la fermeture temporaire des écoles, aura pour conséquence naturelle de réduire progressivement la contagion. « On sait, par exemple, que les épidémies de grippe chutent systématiquement pendant les vacances scolaires, explique le Dr Lambert. Les enfants ne vont plus à l’école, les contacts entre familles sont nettement réduits. » Les deux premiers jours de quarantaine ont déjà suffi à faire baisser l’activité de nombreux centres, partout en France. Les appels motivés par une inquiétude infondée se font nettement plus rares, mais les cas de détresse respiratoire graves se sont quant à eux multipliés. Dans la salle de régulation, les ARM poursuivent leur course de fond. L’écran de contrôle, qui continue de faire évoluer ses chiffres au-dessus de leurs têtes, a des airs d’épée de Damoclès. 

 

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