Pendant au moins quatre ans, le Brésil a vécu au rythme des révélations judiciaires. Dès 2014, le pays retient son souffle devant ce qui est présenté comme le « plus grand scandale de corruption de l’histoire du Brésil ». La justice met à jour que les contrats des grandes infra­structures (plateformes pétrolières, barrages, stades, etc.) ont tous été surfacturés et que les appels d’offres étaient truqués. Un cartel d’entreprises se répartissait les contrats et facturait 3 % en plus pour rémunérer opérateurs et partis politiques. Ce sont d’abord les présidents des plus grandes entreprises de BTP qui sont détenus. Tous acceptent le mécanisme de la « collaboration récompensée » pour sortir au plus vite de prison : passer aux aveux pour obtenir la clémence de la justice, en l’occurrence celle du juge Sergio Moro, chargé de ce dossier qui devient vite tentaculaire.

Pour conserver l’instruction de tous les dossiers, ce juge de Curitiba (sud-ouest du pays) n’hésite pas à tordre le cou de la légalité. Les avocats des prévenus ont beau protester, il surfe sur le soutien de l’opinion, exaspérée par la corruption. C’est ainsi qu’il obtient de juger l’ancien président Lula, du Parti des travailleurs (PT), alors que l’objet du délit – un appartement que Lula aurait reçu en pot-de-vin – se trouve à São Paulo (est du pays). Et quand il publie en 2016 une conversation, obtenue illégalement, entre la présidente Dilma Rousseff et Lula, il ne reçoit qu’un avertissement de l’instance de discipline de la ­magistrature.

Même si les entrepreneurs reconnaissent tous le versement de pots-de-vin aux principaux partis politiques, et ce depuis l’époque de la dictature, le juge Moro et les procureurs de Curitiba ciblent le Parti des travailleurs au pouvoir depuis 2003. Lors d’une conférence de presse en 2016, les procureurs présentent un document – resté dans l’histoire de ces dernières années comme « le PowerPoint » – dans lequel le nom de Lula est inscrit au centre et que des flèches relient à tous les scandales. De ce moment, la politisation de l’affaire prend de l’ampleur et devient évidente lors de la condamnation de Lula à neuf ans de prison, malgré une accusation faible, fondée sur la parole d’un délateur.

Débarrassé du favori Lula, Jair Bolsonaro remporte l’élection présidentielle de 2018 et nomme le juge Moro à la tête d’un super ministère regroupant la Justice et l’Intérieur. En juin, le média indépendant The Intercept dévoile les conversations entre Sergio Moro et les procureurs, échangées sur l’application, en principe cryptée, Telegram entre 2015 et 2018. Elles révèlent la fragilité de l’accusation contre Lula et la politisation de ces magistrats qui se promettent de tout faire pour éviter le retour de la gauche aux ­commandes du pays. Le plus choquant de ces échanges reste les orientations données par Moro aux procureurs. Encore une fois, Moro ne sera pas sanctionné pour son manque d’impartialité, ni ses jugements remis en question. Mais, aux yeux d’une partie de l’opinion publique, la réputation de la justice est fortement dégradée, tout comme la lutte contre la corruption, qui apparaît désormais comme une bataille ­politique. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !