Trouver une agriculture qui a un sens
Kattalin Pommiès

Elle a beau avoir deux parents paysans avec qui elle s’est associée, reprendre la ferme familiale n’a pas toujours été une évidence pour Kattalin Pommiès. Après un bac S, une filière dans laquelle elle s’est engagée parce qu’elle « ne savait pas quoi faire », puis une préparation aux grandes écoles de commerce, Kattalin (prononcer Katia-Line) entre en école de commerce « parce que c’était la suite logique ». Elle voyage, beaucoup. Et quand elle revient en France, cette aînée d’une fratrie de trois filles passe aider ses parents à la ferme, dans le Béarn, au sud de Pau. « Ça me plaisait et l’envie de reprendre m’est venue petit à petit. »

La jeune femme de 26 ans, à l’accent du Sud-Ouest tranché, reste prudente. Elle commence par effectuer son stage de fin d’études chez ses parents, pendant six mois. Puis décide de franchir le pas et rachète un tiers des parts de l’exploitation en 2017. Ses parents Josie, 56 ans, et Jean-Pierre, 54 ans, sont ravis. « Ce n’est pas calme tous les jours avec nos trois gros caractères, s’amuse Kattalin, mais globalement ça se passe très bien. »

Elle n’est pas vraiment dépaysée puisqu’elle s’occupe en particulier de la partie « tourisme » de la petite entreprise, un aspect que ses parents ont développé depuis quelques années mais qui leur prend trop de temps. Repas à la ferme pour des groupes, raquettes en hiver, balades au moment de la transhumance quand les bêtes sont montées en estives au printemps ou descendues des montagnes à l’automne… Ou comment lier la découverte des produits maison avec celle d’un paysage montagnard.

Les 220 brebis et 60 vaches de la famille vivent six mois par an dans les Pyrénées, tout près des cols du Soulor et de Marie Blanque bien connus des amoureux du Tour de France. « Nos vaches et nos brebis ne pourraient pas être mieux », assure avec tendresse Kattalin.

Bien sûr, elle est consciente des critiques qui pleuvent sur les agriculteurs. « Mais moi, le glyphosate, je ne connais que via la télé ! » Et pour cause : l’exploitation a été biologique durant cinq ans, même si elle ne l’est plus. « Il fallait qu’on achète des céréales trois fois plus chères pour nourrir les bêtes, et surtout les importer d’Espagne. Ça n’avait plus de sens. On préfère se fournir localement. » Les Pommiès vendent leur viande presque intégralement en circuit court. Seules exceptions : les commandes des touristes qui, venus en balade, ont pris goût à ces produits dont ils connaissent l’histoire et en redemandent une fois de retour chez eux.

Kattalin ne voit qu’une ombre au tableau : la présence de l’ours dans les Pyrénées béarnaises. La jeune femme dit y penser chaque jour quand ses bêtes sont là-haut. « C’est un énorme problème et aucune solution n’a été trouvée pour cohabiter. » Trois de ses brebis sont mortes l’été dernier. Quand elle en parle, l’amertume pointe. Avant que le naturel ne reprenne le dessus : « Ces difficultés, je les connaissais en m’engageant, je ne regrette pas du tout. Je gagne moins que mes amis d’école de commerce, c’est sûr. Mais mon confort de vie vaut bien ça. » Elle s’arrange même avec ses parents pour prendre de vraies vacances, une fois l’été passé. « Sans ça, en revanche, je n’aurais pas repris ! »

 

Faire face à l’« agribashing »
Jordan Pasdeloup

 

« Je ne suis pas en agriculture biologique : on me considère donc comme un criminel. » Pourtant Jordan Pasdeloup assure faire tout son possible pour réduire les doses de produits phytosanitaires, en privilégiant par exemple le désherbage mécanique. « Mais on ne peut pas passer à zéro pesticide du jour au lendemain », lance-t-il avec une pointe de dépit. Les rendements de ses 80 hectares de terre où il cultive du blé, des orges et du colza ne sont déjà pas exceptionnels. « Si j’arrête de fertiliser les cultures, de les protéger, ce sera dérisoire. »

Cette défiance envers les agriculteurs, le jeune homme de 24 ans, installé depuis deux ans et demi entre Seine-et-Marne et Loiret, la fait remonter à mai 2019. Quand le maire de Langouët, en Bretagne, a le premier signé un arrêté antipesticides, suivi de beaucoup d’autres dans toute la France. Jordan s’attendait à bien des tracas – aux prêts qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros, aux revenus dérisoires tirés de son exploitation, à la nécessité absolue d’un second travail dans une ferme plus grande –, mais pas à l’« agribashing », cette critique systématique des agriculteurs.

Pour le moment, « la passion reste au-dessus de tout ». Déjà, enfant, Jordan préférait être dans les champs que sur les bancs de l’école. Sa décision n’a donc étonné personne. Son père maçon le soutient, comblé que son fils puisse faire un métier qui lui plaît. Ses amis le trouvent courageux et montent à l’occasion dans son tracteur par curiosité. Communiquer sur son métier pour lever les fantasmes commence par là, se dit Jordan. Cela s’avère si efficace qu’il envisage d’ouvrir sa cabine au grand public pendant les moissons.

 

L’indépendance à tout prix
José-Camille Gimeno

 

Pour certains, l’indépendance est un mantra. José-Camille Gimeno est de ceux-là. À 22 ans et après plusieurs tentatives ratées, le voilà propriétaire de quinze hectares de verger depuis un peu plus d’un an. Des terres situées à Corps-Nuds, un village de 3 000 habitants, à vingt kilomètres au sud de Rennes. Le jeune homme y produit des pommes à cidre et des pommes à jus. 230 tonnes l’année dernière, une misère. Une récolte catastrophique en raison de machines ramasseuses défectueuses.

José-Camille s’attendait à des difficultés. « Mais pas dans ces proportions-là. » Il était prévenu par l’expérience de son grand frère avec lequel il échange souvent. Il ne regrette pas. Ils ne voulaient pas s’installer à deux. « Mieux vaut une bonne entraide qu’une mauvaise association », sourit le cadet. Les parents soutiennent de bon cœur leurs enfants, mais ne sont pas du milieu. Quant à la DJA, la dotation jeunes agriculteurs, José-Camille n’en voulait pas : « Trop de contraintes ! »

Pour s’en sortir, il a donc décidé de faire passer son verger en bio, afin de dégager une marge plus importante. Et le jeune agriculteur déborde de projets  : il a acheté quelques vaches pour constituer un troupeau, espère à terme fabriquer son cidre lui-même pour se passer d’intermédiaires, commencer à produire des pommes de table ou planter des kiwis. José-Camille a l’énergie pour tout ça. Manque l’argent. Il a déjà 120 000 euros de prêts sur les bras. 

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