La transmission agricole s’est longtemps assimilée à une succession : le cédant passait le relais à l’un de ses enfants, qui poursuivait les choses de façon plus ou moins similaire. Depuis vingt ans, cette transition se fait de moins en moins dans le cadre familial et s’apparente donc à un marché. Pour les agriculteurs partants, c’est un long cheminement et énormément d’émotions mêlées. Idéalement, il faut s’y préparer deux ou trois ans avant.

Il y a d’abord une déception. Accepter que la ferme sorte de l’histoire familiale leur demande un gros travail. En outre, comme il y a plus d’exploitations à céder que de candidats à la reprise, les partants doivent rendre leur « offre » attractive. Que cet outil de travail, qui a été si long à mettre en place, puisse n’intéresser personne, c’est inconcevable ! Il y a un attachement viscéral, un vrai déchirement. Et donc un travail de deuil à faire.

Car il existe une fusion entre l’exploitant et sa ferme : les cédants logent presque toujours sur place, ils y travaillent 51 semaines par an, retournent parfois travailler la nuit… C’est un métier qui colle à la peau. Je pense à ce couple en Bourgogne. Ils sont à la fois éleveurs de chèvres, producteurs de fromage, commerçants, chefs d’équipe… Une petite PME, avec énormément de métiers sur les épaules de deux personnes ! Impossible de trouver un repreneur qui continuerait tout à l’identique, ce serait le mouton à cinq pattes. En plus, les repreneurs sont par définition des gens entreprenants, ils ont envie de monter leur propre affaire.

Arrive alors le doute. Beaucoup de cédants, fatigués par une longue carrière, pensent que le candidat n’aura pas les épaules assez solides, que ses projets ne tiennent pas la route. Mon travail consiste à leur rappeler qu’à vingt ans ils avaient un enthousiasme à déplacer des montagnes ! Et puis il est normal que les jeunes n’aient pas autant de compétences que les anciens.

Au-delà de l’aspect économique, la clé majeure d’une transmission agricole réside dans la confiance. Beaucoup pensent par exemple qu’on ne peut pas avoir les compétences d’agriculteur sans être enfant d’agriculteur. C’est vrai que le métier est incroyablement complexe et exigeant. Il faudrait envisager une sorte de parrainage dans la durée entre cédant et repreneur. Les exploitants n’ont pas conscience que leurs compétences sont des trésors, qu’il s’agisse de la mécanique, de la connaissance d’une parcelle, des soins aux animaux. Transmettre ses compétences peut être très valorisant. Il y a de belles histoires, comme dans ce domaine viticole en Dordogne où le cédant s’est associé aux deux jeunes qui allaient reprendre. Il travaillait, moins mais leur transmettait son savoir-faire et les introduisait auprès des clients ou des fournisseurs.

Finalement, les cédants ont la fierté et le bonheur d’avoir pu faciliter l’installation d’une autre personne, qu’elle soit de la famille ou non. C’est un bel aboutissement, on peut dire : « J’ai fini mon œuvre. » J’ai le souvenir d’un père de famille, associé à son fils, qui allait prendre sa retraite. La question était de savoir si le fils prenait un associé ou continuait seul. En entretien individuel, le fils me dit qu’il a décidé de poursuivre seul et de restructurer la ferme. Je fais entrer le père pour que son fils le lui annonce. Le père a été très ému que son fils ait pris une décision qui soit vraiment la sienne. Soulagé, il a dit : « Ah, c’est bien. Je vais pouvoir te remettre les clés. » 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !