Ô trop heureux les paysans, s’ils connaissaient
les biens qu’ils ont. Loin des discordes et des armes, la terre
d’elle-même, en sa suprême justice, répand pour eux une
nourriture facile.
Ils n’ont pas de hauts palais au front audacieux
qui, chaque matin, vomissent partout en abondance des
flots de clients,
ils ne béent pas devant des linteaux chatoyants de belle
écaille,
des draps damassés d’or, des bronzes d’Éphyré ;
la blancheur de leur laine ne se colore point du philtre
d’Assyrie,
le jus limpide de l’olive n’est pas de cannelle altéré,
mais ils possèdent calme et tranquillité, une vie qui ne sait
pas tromper,
riche de mille ressources ; ils ont les rêveries dans les grands
espaces,
les grottes, les eaux vives et les fraîches vallées,
le mugissement des bœufs, les doux sommes sous
les arbres,
là, les clairières et les gîtes des bêtes,
une jeunesse endurante et contente de peu,
et le culte des dieux, et les pères honorés. Quand la justice quitta la terre, c’est parmi eux qu’elle fit ses derniers pas.

Les Géorgiques, « La Salamandre », Imprimerie nationale, 1997, traduit du latin par Alain Michel
© Actes Sud 

 

Les Géorgiques est une commande de Mécène. Le protecteur de Virgile est proche du futur empereur Auguste, qui offre des lopins de terre à ses soldats vétérans, et promeut l’agriculture dans une Italie ravagée par les guerres. Pour célébrer le retour aux champs, le poète emprunte à l’âge d’or autant qu’aux réalités de son siècle. 

 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !