20 ans en 2020 : qui pourrait rester indifférent à la magie des chiffres ? Ne laissent-ils pas espérer un tournant ? Ne peuvent-ils servir à persuader une génération de sa différence, de sa distinction même ? À convaincre l’opinion — ou au moins les médias — de l’apparition d’une espèce nouvelle, que l’on appellerait les Z ? En parlant le premier d’une génération Y, celle née entre 1981 et 1996 (admirons la précision), Advertising Age, l’influent hebdomadaire spécialisé dans la publicité depuis 1930, avait réussi à gommer les appartenances aux classes sociales, aux cultures et aux territoires et à fabriquer un groupe autour de caractéristiques aussi générales que le rapport à l’informatique, à l’immédiateté de la diffusion, aux jeux vidéo, au souci de l’environnement, à l’accès à bon marché aux transports aériens et à un rapport décomplexé à la globalisation. Le tout habilement imagé (et attesté) par la forme du câble de ces écouteurs qui pendent des oreilles des possesseurs de Walkman, d’iPod, puis de smartphone, permettant à leurs utilisateurs de construire à volonté leurs ambiances de prédilection et de privatiser un espace public, celui de la maison, de la rue, du métro, du lycée, de l’entreprise, etc. De l’usage de ces nouveaux accessoires polyvalents, les inventeurs de la génération Y tirèrent des conclusions sur lesquelles se jetèrent des analystes et des marchands pressés, car avides de nouveau.

De la maîtrise d’appareils permettant de construire une nouvelle intimité, ne pouvait naître qu’un renforcement du moi. De ce renforcement du moi, on ne pouvait attendre que de nouveaux comportements, notamment dans le travail. Les Y se montraient plus exigeants à l’égard de leurs possibles employeurs : ils réclamaient un travail qui ait un sens, une reconnaissance de leurs capacités d’initiative, une hiérarchie à leur écoute. Un commentateur inspiré — et peut-être lacanien — fit observer que la voyelle qui servait à baptiser ces nouveaux venus sur le marché du travail se prononçait en anglais why, autrement dit « pourquoi ? ». Il en déduisit que le travailleur de la génération Y se montrerait réticent à exécuter une tâche ou un ordre si l’utilité ou la raison ne lui en était pas clairement exposée et s’il n’adhérait pas à cette explication. Il n’en fallait pas davantage pour qu’un magazine du Net « décodeur de l’innovation » prédise qu’en 2026 (mais le mois de l’année n’était pas indiqué), 76 % de la main-d’œuvre serait composée de ces salariés sourcilleux. La révolution du travail était en marche.

Face à ces fascinantes perspectives, les enseignements de la sociologie ne pouvaient faire que terne figure médiatique. Responsable d’une équipe de chercheurs vouée à l’analyse des transformations du travail, des organisations et des compétences au Centre d’études et de recherches sur les qualifications, Nathalie Moncel estimait la jeunesse Y à 6 % de sa classe d’âge et l’identifiait aux plus diplômés. Autrement dit, aux futurs détenteurs des plus forts pouvoirs d’achat. Ceux pour qui il était utile de construire cette appartenance de pacotille, de les constituer en cible, de les persuader de leur singularité mirobolante. Dans son article fondateur des Y, Advertising Age les définissait comme de jeunes consommateurs éthiques, engagés… mais sensibles aux messages publicitaires. Pourvu que les Z ne déçoivent pas les « boomers » qui les auront fabriqués. 

 

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