L’écologie au quotidien
Éloïse, 17 ans, Dunkerque

C’est sa façon de dire « OK boomer ». Le 19 janvier 2019, sur le plateau de C Politique, Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue de protection des oiseaux, vient de lui tendre un rapport d’experts. « Je l’ai lu, en fait », répond-elle à son aîné d’un ton sec. « C’est vrai, je l’ai lu, nous répète-t-elle. C’est le rapport sur la justice climatique. Je vous le conseille, il est très intéressant. » Depuis septembre 2019, à raison d’une session par mois, Éloïse potasse les aspects les plus pointus de la transition climatique. Élève en terminale S, elle n’a pas attendu les appels de Greta Thunberg « pour se réveiller à propos des dangers courus par la planète ». À 7 ans, cheffe de brigade chez les scouts laïcs, elle construisait des poubelles recyclables. À 12 ans, elle avait droit à un repas végétarien par semaine dans son collège, « préfiguration de la loi EGalim de 2018 », précise-t-elle. D’où lui vient cette conscience verte ? « C’est mon grand-père jardinier. Il m’a fait lire des livres et des articles. Il m’a montré la beauté et la fragilité des dunes et des marais. Il m’a appris à reconnaître les fleurs, les traces des animaux, à m’occuper des poules et des cinq cochons, un pour chacun de ses petits-enfants. »

En plus de pratiquer le rugby et la course à pied, de donner des cours du soir, de réparer des vieux vélos, de passer le bac S tout en se préparant à faire médecine pour devenir gynécologue (« il y a tellement à faire en termes de prévention… »), Éloïse mène la bataille écologique dans son lycée, à la maison et désormais place d’Iéna. Dans sa famille, tout l’éventail politique est représenté mais personne n’est enfermé dans une position arrêtée. C’est la différence avec le XXe siècle où l’on pouvait naître et mourir avec la carte du même parti. Dans ce nouveau monde à l’envers, les enfants conduisent les adultes sur la voie des comportements raisonnables. Anatole, son petit frère de 15 ans, cultive un potager et fabrique sa lessive artisanale. Les parents, un ingénieur sur le port de Dunkerque et une conseillère en insertion, ont un peu de mal à suivre le mouvement.

Éloïse se définit comme écolo « tendance gaucho » : « Le capitalisme, les profits, la surconsommation nous mènent droit dans un mur. » À son père qui aime la viande rouge, elle détaille les quantités d’eau dépensées par l’élevage bovin, la nourriture au soja transgénique, l’épuisement des terres… « Il faut être conscient des impacts personnels mais aussi en connaître la complexité : par exemple, le recyclage d’une bouteille de verre est plus énergivore que celui de six bouteilles en plastique. » Ses parents n’ont pas encore abandonné leur voiture pour le bus gratuit de l’agglomération dunkerquoise, mais certains pas vers la décroissance comptent double. « Nous nous sommes accordés pour baisser le chauffage d’un degré. » Ce débat ne devait pas être le premier puisque le thermostat de la maison affiche 17 °C. Un pull, une couverture supplémentaire, tout est possible avec un peu de volonté. Éloïse et sa mère ont éliminé les protections féminines jetables (pas loin de cent cinquante kilos de serviettes, tampons et applicateurs pour toute une vie)… Même d’Internet, Éloïse fait un usage modéré. Sur son téléphone, elle se contente de WhatsApp ; pour le reste, elle se sert de l’ordinateur familial. Si elle s’aventure sur YouTube, c’est qu’une vidéo lui est utile. Et plutôt que Netflix, elle regarde des films en DVD avec ses parents. Une soirée à l’ancienne pour une jeune femme moderne.

 

Les kangourous et les glaciers
Selja, 16 ans, Champigny-sur-Marne

À la différence d’Éloïse, Selja est souvent sur son téléphone. C’est ainsi qu’elle s’informe sur « ses sujets importants » : le climat, le féminisme et la cause animale. Sur Snapchat et Instagram, elle relaye les vidéos féministes de « Coucou les girls », les témoignages sur les règles de « SPM Ta Mère » et les contenus de l’association antispéciste « PETA », la référence pour tous ses amis. Selja maîtrise les outils de sa génération, elle modifie images, sons et textes, balance des gifs (images animées) à tout bout de champ. Comme beaucoup, elle entretient pourtant des rapports ambivalents avec les réseaux sociaux. Les engouements se démodent de plus en plus vite ; les 17 ans regardent « avec pitié » les 12-15 ans et leur réseau TikTok. On vénère l’image puis on découvre qu’elle n’est qu’un reflet trompeur du réel. Selja s’interroge sur la fureur du moment, échanger le plus de photos possible pour gagner des flammes : « C’est totalement inutile mais les jeunes aiment ça. »

Selja a passé son année de troisième à La Réunion avec son frère et sa sœur, Mishaal et Linah, leur mère islandaise, Krumma, et leur père d’origine algérienne, Nabil. C’est là que le déclic s’est produit. Une fois, la cantine de son collège a servi des steaks de kangourou. Dégoût immédiat. « On est une famille qui mange énormément de viande ; moi, je n’ai jamais vraiment aimé la viande rouge. J’appréciais les sandwichs au poulet et les McDo, tout en sachant que ce n’était pas sain. J’ai vu des vidéos sur Konbini, notamment sur les nuggets. J’ai mis deux ans pour devenir végétarienne. »

L’an dernier, alors qu’elle passait de nouveau des vacances en Islande, Selja a réalisé que, plus jeune, elle grelottait en doudoune au pied des glaciers et qu’à présent elle avait presque chaud en tee-shirt. Elle a commencé à partager les appels aux marches climatiques du vendredi de Youth for Climate. Depuis septembre, ses « potes » l’appellent la « nouvelle Greta ». Elle publie de nombreuses informations sur les travaux de la Convention. Sans le moindre signe d’intérêt de son entourage. Mais il a suffi que l’Élysée publie une photo d’Emmanuel Macron en compagnie de Selja pour que son réseau s’enflamme. « Ça m’énerve. La fonte des pôles, les bébés phoques, ils s’en fichent et là, ils étaient tout fiers. Je trouve ça hypocrite. Quand je pense au milliard d’animaux morts en Australie, ça me bouffe. »

 

Bluffé par Greta
Nicolas, 17 ans, Salon-de-Provence

Nicolas est un enfant du siècle, hybridation de compromis inédits. Élève en terminale S, il ne sait pas encore où ses bons résultats l’emporteront : dans une école de commerce sûrement, mais peut-être aussi à Sciences Po et en fac d’anglais. Conscient de l’urgence écologique, il en mesure les contradictions : son grand-père était pilote d’essai chez Eurocopter ; ses parents sont hôtesse et steward chez Air France. « Plus pour très longtemps », souffle-t-il, comme pour s’excuser du kérosène rejeté dans l’atmosphère. Nicolas sait trouver le chemin des accommodements, c’est une prédisposition familiale. Son grand-père est persuadé que la Terre s’est réchauffée seule et qu’elle trouvera seule les moyens de sa résilience. Cela ne l’empêche pas d’être heureux que son petit-fils participe à ce grand remue-méninges. Quant au papa, il « cleane » presque toute la maison avec du vinaigre blanc, il achète des grands bidons d’eau en plastique recyclé et, pour rien au monde, il n’oublierait le tri sélectif.

Nicolas n’est pas militant. Il a fait quelques grèves du climat, mais à l’heure du déjeuner afin de ne pas prendre de retard pour son bac de français. S’il est bluffé par Greta Thunberg, c’est par sa puissance médiatique : « Elle s’est mise à notre niveau, elle a su nous parler avec ses mots simples, retranscrire les discours barbants des scientifiques. » Ses idoles sont plutôt au cinéma. Quand Marion Cotillard, Juliette Binoche ou ses youtubeurs préférés, McFly et Carlito, ont décrété que « le climat était l’affaire du siècle », il a rejoint le mouvement. À Paris, il a pu échanger avec un garant de la Convention, le documentariste Cyril Dion dont il a adoré Demain. Même s’il avoue dans un éclat de rire appartenir à une « génération très narcissique », il apprécie la confrontation d’idées. « Le premier jour au Cese, je me suis dit : c’est bien gentil mais si la société de consommation est réduite, ça ne va pas m’arranger pour mon futur métier. En même temps, quand je vois le carnage que c’est… »

Il a été ébranlé par certains exposés : le « zéro déchet » proposé par Nicolas Hulot, les quatre à cinq millions d’appartements vacants, le développement de l’agriculture urbaine sur les toits ou dans les appartements… Les prophéties de Jean-Marc Jancovici sur l’inéluctable décroissance énergétique l’ont laissé pantois : « Qu’est-ce qu’il nous raconte, le gars ? C’est l’apocalypse ! Même Éloïse a été choquée. » De toute façon, quand on est né au lendemain du 11 Septembre, qu’on a grandi avec la crise de 2007-2008, on s’est habitué à avancer à l’aveugle. « Et mon parrain qui me dit qu’un nouveau krach va arriver, peut-être au pire moment, à ma sortie d’une école de commerce ! »

En attendant, Nicolas savoure l’expérience d’une vie : des experts à portée de main ; des adultes pour le conseiller sur ses études ; des personnalités séduites par son éloquence et sa bonne humeur. Le 10 janvier, pour la venue d’Emmanuel Macron, il avait préparé son intervention avec son copain Jocelyn. Comme par hasard, des sept jeunes, seuls les deux garçons ont pu s’exprimer. « J’ai réussi à tourner ma question pour ouvrir sur une idée qu’on a eue avec Jocelyn : l’école comme terrain d’expérimentation. » Après la séance, le dir’com de l’Élysée, Joseph Zimet, lui a demandé d’envoyer un mail détaillant ses projets et son profil. Le soir même, Nicolas exposait son idée « d’un festival de Cannes des films sur l’environnement ». La carte de visite du conseiller, il l’a mise bien à l’abri. « Franchement, je vais la garder toute ma vie. L’Élysée en gros caractères, vous vous rendez compte ! » 

 

PATRICE TRAPIER & NICOLAS BOVE

 

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