Quand j’avais 20 ans, il n’y avait pas Daech, Trump ou de koalas qui brûlent.

Quand j’avais 20 ans, aucun jeune ne s’immolait par le feu devant le Crous pour prouver son désarroi.

Je suis née et j’ai grandi dans une démocratie. J’ai appris par cœur les valeurs de la République, j’ai fait des exposés sur la liberté, l’égalité et la fraternité. J’ai été élevée dans le pays de l’expression et de la culture, dans la nation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Et pourtant…

Je constate que ce sont toujours les mêmes qui meurent sous les coups de leurs conjoints, toujours les mêmes qui succombent aux contrôles de police. Chaque jour, je suis atterrée de la façon dont on stigmatise celle qui revêt le voile alors que l’on refuse de voir le handicap de ceux·celles qui le vivent. Chaque jour, j’observe comme il est évident de protéger la réputation des hors-la-loi pendant que l’on abandonne en mer des personnes qui devraient être secourues.

Je suis asphyxiée par l’arrogance de ceux·celles qui me répètent à longueur de journée que je dois accepter, que je devrais comprendre, que les choix qu’ils font pour moi sont les bons. Alors qu’aucun·e ne vit dans ma réalité. D’ailleurs, pas un·e n’a connu la réalité.

Je suis indignée. Je resterai indignée, je vais même nourrir cette indignation. C’est la résignation et le silence qui nous font mourir plus tôt. À l’intérieur. C’est finalement le cri des êtres humains qui déclenche toutes les guerres. Lorsqu’une des deux parties ne se tait plus, qu’elle décide de prendre de la place et exige d’exister.

Mon téléphone vibre : c’est l’enregistrement sonore des grenades de désencerclement qui éclatent sous les fenêtres de mon ami dans le XIe arrondissement de Paris.

Voilà où nous en sommes. Ici, juste ici. Plus besoin d’allumer un écran pour voir la violence pure. Alors oui, ce combat nous paraît plus propre que ceux que l’on perçoit ailleurs. Mais comme les autres, l’affrontement est engendré par l’abus de pouvoir et le désespoir de ceux·celles que l’on tait.

J’ai le sentiment que si nous voulons être honnêtes en parlant de la France comme d’un pays libre, comme d’un exemple, il faut être à la hauteur. Je refuse de me reposer sur des acquis, bien qu’extraordinaires et encore uniques dans le monde. Je ne peux pas rester là, les bras ballant, me rassurant que « quand même on a la Sécu et le chômage ». Oui c’est fantastique, oui je suis reconnaissante d’être née ici mais what else ? comme dirait l’autre. J’ai le droit de vouloir davantage. J’ai le devoir de ne pas participer à la régression qui gangrène. J’ai besoin de cohérence. J’aimerais que mon pays se regarde en face. Qu’il assume et qu’il corrige.

Je dois continuer de scander mon besoin de reconnaissance, hier en tant que jeune précaire, aujourd’hui en tant que femme adulte. Sinon, ceux qui ne veulent pas me voir, nous voir, continuent d’avancer, sans nous et à notre détriment. Pour contrebalancer ce monde fou, je dois me concentrer. Il faut consciemment et quotidiennement recharger mes batteries.

Alors, je regarde mes petites sœurs. L’une encore trop petite pour savoir ce qui l’attend, l’autre assez mature pour prendre position. Elles sont le futur que j’incarne pour certains aujourd’hui. Je veux qu’elles sachent que je ne baisserai pas les bras.

Se rappeler sans cesse à la famille. Celle dont on s’entoure, biologique ou choisie. Disséminé·es un peu partout, les allié·es se font discret·es. C’est en silence qu’iels prennent position, c’est discrètement qu’iels s’engagent. Mais iels sont là. Délicieusement différent·es. Leur simple existence me rassure. Ensemble, on s’apaise, on se questionne, on se déleste.

Et puis il y a cette toile qui se tisse sous mes yeux. Ces inconnu·es qui, sur les réseaux sociaux, se préparent à la bagarre. À vrai dire, ceux-là sont déjà en guerre. C’est un combat d’idées et de valeurs, une bataille pour une liberté inclusive. Je trouve là une tribu consciente, éveillée, tendre et têtue. Je m’alimente de leurs mots, de leur courage, de leur besoin inconditionnel d’avancer pour une société plus digne.

Je suis heureuse de vivre dans une époque où l’on a collectivement décidé de nommer les choses, de s’associer pour dire plus fort. Et ce, même si le retour de bâton est inévitable, même si c’est épuisant, même si je préférerais ne pas avoir à me défendre.

Nous sommes là. Nous ne réclamons pas le monde dans lequel nous voulons vivre, nous le fabriquons. Nous déconstruisons les normes, nous repensons l’égalité qui n’a jamais vraiment été. Nous résistons à l’hypocrisie, au mépris et à la frustration de ceux qui, fossilisés dans les pires idéologies, nous crachent au visage. Notre énergie nous vient de la liberté que certains nous refusent. Nier notre existence, c’est la reconnaître. Les diversités comptent, l’empathie règne. L’adelphité qui nous unit au-delà du genre est plus solide que l’histoire que l’on a intégrée.

Notre existence est désormais indissociable des combats que nous menons. Certains se lèvent pour défendre la planète qui se meurt, d’autres pour que les idées crasses soient étouffées, d’autres encore pour que les frontières cessent de se dresser bêtement.

Toutes ces batailles sont liées, toutes ces guerres font partie d’un tout.

À ceux qui nous affublent de l’uniforme de la différence : ne vous étonnez pas que nous ayons constitué une armée. 

 

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