Plusieurs travaux récents permettent aujourd’hui de proposer une définition conceptuelle robuste d’un seuil de richesse ainsi que de premières estimations empiriques.

Aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street a popularisé l’idée d’une fracture au sein de la société entre la masse des citoyens (les « 99 % ») et une petite élite oligarchique (le « 1 % ») qui concentre à la fois le pouvoir économique et politique. Il est devenu depuis fréquent de définir les « riches » comme ceux qui font partie de ce 1 %. Dans les sociétés capitalistes contemporaines caractérisées par une inégalité démesurée, cette façon d’identifier la population riche emporte assez facilement la conviction des citoyens ordinaires. En France, cela correspond pour une personne seule à un revenu annuel avant impôts de plus de 100 000 euros (106 210 euros en 2015). Peu de gens contesteraient l’idée que l’on n’est pas riche à ce niveau de revenu.

Cette approche présente cependant des limites évidentes. Notamment parce qu’elle méconnaît le fait que la proportion de riches peut varier dans le temps et, aussi, selon les pays. Elle permet de mesurer comment évolue la concentration des revenus (la part des revenus détenue par les plus riches), mais elle ne permet pas véritablement de définir ce que signifie être riche.

Une deuxième approche, courante parmi les économistes, consiste à définir un seuil de richesse en retenant un certain multiple du revenu médian (2 fois, 3 fois ou plus…), selon une démarche analogue à celle utilisée pour définir empiriquement des seuils statistiques de pauvreté monétaire (usuellement fixés à 60 % ou 50 % du revenu médian). Cette démarche présente l’avantage de s’appuyer sur un repère collectif (le revenu médian), ce qui signale que la richesse (comme la pauvreté) est une notion relative. Mais la convention retenue pour fixer le seuil de richesse dépend essentiellement du point de vue subjectif de chacun. Avec un niveau de vie médian de 1 735 euros par mois en 2017, est-on riche à partir de 3 470 euros, de 5 200 euros… ? On retrouve la controverse récurrente sur le niveau du « bon » seuil, pour la pauvreté comme pour la richesse. Là encore, cette méthode permet de mesurer comment évolue la proportion de personnes riches, ou de brosser le portrait de cette population. Mais elle n’en fournit aucune définition un tant soit peu solide.

Des travaux plus récents ont proposé de définir un seuil de richesse de façon plus argumentée en l’arrimant, en quelque sorte, à un objectif d’éradication de la pauvreté. Le seuil de richesse correspond alors au niveau de revenu maximal auquel il faudrait abaisser les plus hauts revenus pour rééquilibrer la distribution de façon à permettre à tous d’atteindre un niveau de vie minimum décent. L’idée qui fonde cette approche est que la société devrait avoir une aversion totale pour la pauvreté et donc se donner les moyens de l’éradiquer. Dit autrement, si nous voulons faire société, il est nécessaire que tous les citoyens puissent y participer au moins de façon minimale, ce qui nécessite de fixer une limite aux plus hauts revenus. Une fois défini un seuil minimum d’inclusion sociale, on peut alors définir le seuil de richesse qui y est associé.

C’est précisément sur la définition de ce seuil d’inclusion que des chercheurs britanniques ont proposé une démarche innovante qui permet d’aboutir à un seuil socialement validé, ce qui présente l’intérêt majeur de dépasser le caractère conventionnel des seuils purement statistiques. La méthode consiste à réunir, à travers une démarche participative, des groupes de citoyens afin d’aboutir à un consensus argumenté sur le contenu du panier de biens et services nécessaires pour accéder à un niveau de vie minimum décent.

Cette démarche a été reproduite en France par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) et elle a débouché sur la publication en 2015 de « budgets de référence » qui chiffrent, pour différentes configurations familiales, le revenu disponible nécessaire pour avoir un niveau de vie minimum décent. À titre d’exemple, ce revenu minimum est d’environ 1 500 euros par mois pour une personne seule. On peut dès lors estimer le seuil de richesse associé à ces seuils d’inclusion.

L’ouvrage de la Fondation Copernic Vers une société plus juste (Les liens qui libèrent, 2019) en a proposé un chiffrage dans le cas français. Le seuil de richesse est ainsi situé dans une fourchette comprise entre 3,5 fois et 4 fois le seuil minimum d’inclusion. Soit, toujours pour une personne seule, un revenu disponible (après impôts) égal à environ 6 000 euros par mois. Avec une échelle de revenus de 1 à 4, on peut estimer qu’environ 2 % à 3 % de la population aux plus hauts revenus dépassent aujourd’hui le seuil de richesse ainsi défini. Ce qui représente entre 600 000 et 900 000 ménages.

Cette approche présente l’avantage d’articuler la définition d’un socle minimum d’égalité socialement validé avec celle d’un revenu maximal. Elle permet ainsi de définir un repère collectif permettant d’orienter les politiques publiques en vue de contenir l’inégalité dans des limites socialement acceptables. Mais elle ne définit aucunement les moyens ou les politiques à déployer pour atteindre cet objectif. Il faut souligner, en particulier, que l’approche par les budgets de référence repose sur le concept central de besoin. Or tous les besoins ne sont pas nécessairement satisfaits par des ressources monétaires. C’est par exemple le cas pour le besoin d’avoir un emploi, spontanément évoqué par les groupes de discussion réunis par l’ONPES. Et la satisfaction des besoins peut aussi passer par le développement de services publics. C’est en articulant un ensemble de politiques publiques, comme le souligne Antony Atkinson dans son livre Inégalités (Seuil, 2019), que l’on peut espérer progresser vers une société plus juste. 

 

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