Son procès est un coup fatal porté au climat de confiance et de quiétude indispensable à la recherche. C’est non seulement une atteinte au peuple et à ses élites, mais aussi un aveu de faiblesse du régime. À mon tour, Monsieur le Président, de faire des aveux. Moi, Fariba Adelkhah, fille de Hossein et Mounireh, née le 25 avril 1959 à Téhéran, je vous avoue mes méfaits. Depuis 1993, je suis chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, à Paris, dont je suis la salariée. J’ai écrit des centaines de pages de rapports, d’articles, de livres dont la liste est disponible sur le site du CERI. J’ai toujours aidé les étudiants qui voulaient faire des recherches en Iran. J’ai essayé de jeter un pont entre mon pays d’origine et mon pays d’accueil. Pour ce faire, j’ai eu des contacts avec des diplomates iraniens à Paris, et je n’ai jamais été soupçonnée d’espionnage par la France. J’ai travaillé pendant un an à l’Institut français de recherche en Iran (IFRI), qui est scientifiquement indépendant en dépit de son lien administratif avec l’ambassade de France.

Monsieur le Président,Ce n’est pas que je veuille sous-estimer les problèmes de sécurité auxquels vous êtes confronté, ou discréditer les responsables de la sécurité en Iran. Mais il est difficile de constater que le fruit de vingt années de recherche est pris en otage dans une guerre entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, la loyauté et la trahison. Cette façon de considérer les choses n’est pas adaptée au monde de la recherche car celle-ci n’a ni but religieux, ni but politique.

Monsieur le Président,Je vous écris pour vous dire que, malgré l’opinion générale du moment, le chercheur n’est pas un agent des services de renseignement, pas plus qu’un James Bond ou un trafiquant. Le résultat de ses travaux diffère de celui des services secrets, et il travaille à visage découvert. Il met le résultat de ses recherches à la disposition de tous. Certes, la recherche est un couteau à double tranchant : elle peut être utilisée pour éliminer les rivaux ou au contraire pour créer une plate-forme d’échanges entre les peuples. Mais on n’a pas mis un terme à la recherche nucléaire à cause d’Hiroshima ni à la recherche historique à cause de la colonisation.

Monsieur le Président,Le procès de Clotilde Reiss constitue une attaque contre la quiétude et la sérénité, la confiance, le respect, il crée un climat de répression et de violence qui oppose un barrage fatal au débat et à la recherche scientifique. C’est pour cela que j’ai décidé d’écrire cette lettre de douleur (ou de peur). Hors d’un tribunal, hors de la prison, j’avoue de moi-même devant le peuple, devant les responsables de la sécurité du pays. 

 

Courrier international, no 984, 9 septembre 2009

 

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