Méfions-nous du verbe travailler : il ne signifie pas forcément exercer une activité professionnelle ou accomplir un effort dans un but précis. Venant du latin tripaliare (« torturer »), ce mot am­bigu porte l’idée de préoccupation et de tourment. On peut dire, par exemple, que le chômage nous travaille.

Baudelaire, qui n’était ni éboueur ni mineur de fond, pouvait proclamer : « Travailler est moins ennuyeux que s’amuser. » Tout aussi catégorique, Matisse affirmait, pinceau à la main : « Le travail guérit de tout. » Peut-être. Encore faut-il en avoir. 

Un autre privilégié, ­Alphonse Daudet, en cure thermale à Néris-les-Bains, écrivait en août 1882 à Edmond de Goncourt : « J’ai travailloté, causé avec des rhumatisants et des névropathes, cerveaux affaiblis se mettant à dix pour chercher le mot qui manque… » Impatient de reprendre l’écriture d’un livre en chantier, l’auteur des Lettres de mon moulin était sûr de retrouver son établi et d’être publié.

Le verbe travailloter, apparu dans les années 1860, traduisait alors une certaine nonchalance, une manière de s’activer à moitié, sans trop se fatiguer. Rien à voir avec les demi-­chômeurs d’aujourd’hui, privés d’un véritable emploi. Désormais, même un bon diplôme ne garantit plus rien. C’est l’époque des contrats à durée déterminée, des petits boulots, des jobs à temps partiel, des salariés au rabais, des stagiaires non payés, des intermittents, des intérimaires… Les travailloteurs de 2014 sont trop à sec pour aller prendre les eaux à Néris ou à Vichy, mais ils ont souvent l’impression de se noyer. 

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