Une densité réelle et relative

Paris intra-muros appartient au top 10 des villes les plus denses au monde, en compagnie de métropoles de pays en voie de développement (Dacca, Manille, Le Caire) mais aussi de Shanghai, de Séoul et de Tokyo. Cette ultradensité (21 000 habitants au kilomètre carré) explique-t-elle les maux ressentis par une partie des Parisiens : transports congestionnés, pollution, coût du logement très excessif, incivilités ?

« Paris ne peut être dissocié de son agglomération avec qui les échanges sont quotidiens. Si on prend en compte la continuité du bâti, on obtient la 750e densité au monde », relativise Jean-Pierre Orfeuil, ingénieur spécialiste des mobilités urbaines. Dans les années 1960, Paris comptait 2,7 millions d’habitants, soit environ 500 000 de plus qu’aujourd’hui. Si la capitale voit sa population légèrement décroître (- 10 000 habitants depuis 2006), l’évolution de la petite couronne (+ 220 000) et de la grande couronne (+ 260 000) dessine un rééquilibrage sur un territoire moins concentré.

Des transports enviés mais saturés

Malgré sa saturation sur certaines lignes, le réseau de transports en commun (métro-bus-RER-Transilien) est un modèle étudié dans le monde entier, notamment du fait de son maillage exceptionnel (une station de métro tous les 570 mètres). Ses capacités élargies avec le super-métro automatisé ne sauraient suffire à absorber une demande de déplacements en hausse de 30 % d’ici 2050.

Depuis les années 2000, l’utilisation de la voiture ne cesse de baisser à Paris mais aussi à l’échelle de la région : 700 000 déplacements quotidiens en moins entre 2010 et 2018, quand les transports en commun en assument 1,1 million en plus. Un report insuffisant pour corriger une anomalie : selon Leonard, la plate-forme prospective de l’entreprise Vinci, la région parisienne détient le record d’Europe des embouteillages (300 à 400 kilomètres par jour) et le nombre d’heures perdues du fait de ces ralentissements a plus que doublé en une décennie.

La transition en cours (réduction de la place de l’automobile au profit des pistes cyclables et des espaces piétonniers) est source de travaux, de congestions et de désagréments. À quoi s’ajoute la kyrielle de camionnettes qui entrent chaque jour dans Paris, celles des artisans qui vivent en banlieue et celles des livraisons d’un e-commerce en plein développement. Des études précises manquent pour en mesurer le poids réel.

En dépit des difficultés liées au renouvellement de l’opérateur de Vélib’ en janvier 2018, l’utilisation du vélo n’a cessé de gagner du terrain à Paris : un tiers de plus de 2010 à 2018, et le phénomène s’est encore accéléré en 2019 (+ 54 %). Les difficultés liées à la transition concernent aussi les nouvelles règles de partage des chaussées et des trottoirs entre piétons, vélos, scooters et trottinettes en libre-service. Difficultés d’autant plus ressenties que la marche – contrairement aux idées reçues – arrive largement en tête de tous les modes de déplacement à Paris (65 %).

Une pollution irritante

« La qualité de l’air à Paris et en Île-de-France s’est améliorée ces cinquante dernières années, assure Karine Léger, la directrice d’Airparif. La présence de dioxyde de soufre et de plomb a considérablement diminué, du fait de l’éloignement des usines et de l’interdiction de l’essence plombée. » Deux polluants continuent néanmoins de dépasser les niveaux réglementaires : le dioxyde d’azote (NO2) et les particules fines (PM2,5) et ultrafines (PM10) qui ont notamment pour effet d’irriter les poumons.

Le trafic routier est responsable pour deux tiers de l’émission du dioxyde d’azote, pour un tiers des matières particulaires ou PM (particulate matter). La pollution est globalement plus forte rive droite parce que la circulation routière y est plus intense.

« La pollution atmosphérique n’a jamais été aussi faible, cela peut paraître contre-intuitif pour une population sensibilisée aux questions environnementales, note Jean-Pierre Orfeuil. Même pour les particules fines, qu’on associe généralement aux émissions de moteur diesel, leurs émissions sont dix fois plus importantes dans les stations de métro qu’en surface, du fait des systèmes de freinage des trains. » L’élimination des moteurs diesel devrait être totale en 2024 dans Paris et la proche banlieue jusqu’à l’A86 ; celle des moteurs à essence pourrait intervenir à l’horizon 2030.

Records et anomalies dans l’immobilier

Dix mille, bientôt onze mille euros du mètre carré… Paris a rejoint le peloton de tête des grandes métropoles, dans un phénomène spéculatif commun à toutes les grandes villes des pays développés. 34 % des habitants sont propriétaires – un peu moins de la moitié de la moyenne française –, ce qui confirme la difficulté de très nombreux foyers à se porter acquéreur d’une surface correcte. Même limités et légèrement moins tendus que les prix à l’achat, les tarifs des locations dans le privé sont deux fois plus élevés qu’en province (21,20 €/m2 contre 10,10 €/m2).

Le parc de logements a pourtant progressé de près de 150 000 depuis 1968, quand la population a baissé de 500 000 habitants. Le parc du logement social s’est lui aussi fortement accru (+ 63 000 habitants ces vingt dernières années) permettant aujourd’hui de loger 23 % de la population contre seulement 13 % en 2001. Ce qui ne suffit pas à répondre à une demande massive, notamment du côté des classes moyennes. Plusieurs pistes sont à l’étude pour enrayer la hausse des prix : surélever des logements existant, traquer les bureaux vides, utiliser les friches SNCF et déconnecter pour certains immeubles le foncier et le bâti pour proposer des baux de quatre-vingt-dix-neuf ans autour de 5 000 euros le mètre carré.

D’autre part, deux phénomènes influencent fortement le marché immobilier. En premier lieu, le nombre de logements vides ou sous-utilisés dont les propriétaires ne veulent pas se séparer. En 2016, environ 17 % du parc immobilier à Paris (soit 234 000 logements) n’étaient pas occupés par des ménages toute l’année, la moitié servant de résidences secondaires à des provinciaux ou à des étrangers. En second lieu, la pression touristique accentue le coût du foncier. En effet, le tourisme (52 millions de nuitées dans le Grand Paris en 2018) contribue à la montée des prix en favorisant l’activité des plates-formes digitales de locations temporaires (Airbnb, Booking et Abritel).

Une statistique inquiète la municipalité : les arrondissements les plus touristiques (Ier, IIe, IVe, VIIe, VIIIe, Xe, XVIe) ont perdu plus d’habitants que la moyenne parisienne entre 2010 et 2015.

Une étude publiée par Le Monde en novembre dernier indiquait que Paris se situe en deuxième position derrière Londres pour le nombre d’annonces de location. Mais, rapporté à l’offre globale, Paris est en réalité en tête des grandes villes avec 3,8 % du parc proposé à la location devant Rome (1,5 %) et Londres (1,2 %). Les autorités tentent de réguler un secteur où les locations abusives sont estimées à 30 % des annonces (ces locations ne doivent pas excéder 120 jours par an). Depuis la promulgation de la loi Elan, le 1er décembre 2019, les plates-formes sont tenues de transmettre une fois par an la liste de leurs annonceurs, mais l’expansion du phénomène est si rapide que la municipalité souhaite imposer trois déclarations par an.

Riches et pauvres

À Paris coexistent un taux record de ménages très aisés (18,4 %) et un taux de pauvreté (15,8 %) supérieur à la moyenne nationale (14,5 %). « Depuis quarante ans, la pauvreté se concentre dans les zones urbaines », explique le sociologue Julien Damon. Les associations qui organisent chaque année la nuit de la solidarité évaluent le nombre de sans-abri à Paris à 3 600. Un résultat sous-estimé selon Olivier Mandon de l’Institut Paris Région, l’agence d’urbanisme de l’Île-de-France, qui note une augmentation très nette depuis le recensement de 2012 (environ 35 000 sans-abri franciliens). Ces ordres de grandeur sont comparables aux métropoles comme Londres, Bruxelles ou Madrid.

« En revanche, les très pauvres sont bien plus visibles à Paris, analyse Julien Damon. Les bidonvilles du nord de la capitale n’ont aucun équivalent. Les flux y sont importants, on estime que 20 000 personnes sont passées par ces campements ces cinq dernières années. » L’offre d’hébergement est pourtant importante : 25 000 places dans Paris, 120 000 en Île-de-France.

Le point noir : la propreté

L’Institut Paris Région sonde régulièrement l’état d’esprit des Parisiens sur des questions aussi diverses que le sentiment d’insécurité ou les insatisfactions quotidiennes. Sylvie Scherer, directrice de mission, explique que « la pauvreté est devenue la préoccupation prioritaire des Parisiens, devant le chômage ». Deux tiers des habitants, Parisiens comme banlieusards, portent un jugement globalement positif sur leur cadre de vie. Leur principale cause d’insatisfaction concerne la propreté : 41,3 % des Parisiens, 44,4 % en Seine-Saint-Denis (la moyenne régionale se situe à 30 %).

La saleté de la ville n’est pas un problème nouveau. À peine élu à la mairie, Jacques Chirac s’était attaqué aux déjections canines. Cette fois, le problème est plutôt humain, en lien avec les nouveaux usages de la ville, l’élargissement des espaces verts et piétonniers, la consommation d’alcool dans la rue du fait de l’interdiction de fumer dans les bars. Des réflexions sont engagées pour transférer le nettoiement des rues aux mairies d’arrondissement afin de s’adapter aux réalités du terrain, différentes d’une rue à l’autre.

Reste une question : la présence de nombreux rats dans les rues et les espaces verts. La municipalité a voté un plan d’action en 2017 et commencé à équiper les rues de poubelles inaccessibles aux rongeurs : seulement 4 000 sur un total de 33 000 pour l’heure. Selon une enquête du Figaro du 15 décembre dernier, les entreprises de dératisation estiment qu’il y aurait environ cinq millions de gros rongeurs dans Paris (entre 1,5 et 2 par habitant, quand la moyenne habituelle est d’un rat par habitant).

Nul doute que la prochaine élection municipale s’emparera de ce sujet qui mêle les fantasmes millénaires et les interrogations sur la mutation urbaine. « La ville n’est pas une science exacte mais un organisme vivant, complexe, qui évolue lentement, analyse Dominique Alba. La nouveauté, c’est l’irruption de l’univers digital. La ville de demain fera sûrement cohabiter l’ultramoderne et le traditionnel, d’un côté l’impact des plates-formes digitales sur les transports, l’immobilier et le commerce, d’un autre, le retour de l’épicerie de quartier ou ces autoentrepreneurs qui travaillent chez eux, à la manière des commerçants du Moyen Âge qui vivaient au-dessus de leur échoppe. » 

 

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