Dans une longue lettre ouverte, 126 savants sunnites du monde entier ont uni leurs voix pour dénoncer les actes de barbarie perpétrés par les djihadistes de l’organisation État islamique. Le document, daté du 19 septembre dernier, s’adresse directement à Abou Bakr Al-Baghdadi, calife autoproclamé, et à ses fidèles. Point par point, les signataires réfutent les arguments religieux d’Al-Baghdadi en multipliant les références à la charia, corpus de textes sacrés sur lequel le groupe terroriste prétend asseoir la légitimité de son combat. En voici quelques extraits.

8.d. Les règles de conduite du djihad
Les règles de conduite du djihad sont résumées dans les mots du prophète Mahomet : « Faites la guerre mais ne soyez pas sévères, n’agissez pas en traîtres, ne mutilez pas, ne tuez pas d’enfants... ». Le Prophète a aussi dit le jour de la conquête de La Mecque : « Ceux qui battent en retraite ne doivent pas être tués, les blessés ne doivent pas l’être à nouveau, et celui qui ferme sa porte est à l’abri. ». De même, quand Abou Bakr As-Siddiq [compagnon du Prophète et premier calife] prépara une armée pour l’envoyer au Levant, il dit : « Vous trouverez des gens qui se sont voués à la vie monastique, laissez-les à leurs dévotions. Vous en trouverez aussi d’autres dont la tête est le siège de démons (c’est-à-dire des diacres armés), alors frappez leurs nuques. Mais ne tuez pas les vieux et les décrépits, les femmes, les enfants ; ne détruisez pas les bâtiments, ne coupez pas les arbres, ne blessez pas le bétail sans raison valable ; ne brûlez pas, ne noyez pas les palmiers ; n’agissez pas en traîtres ; ne mutilez pas ; ne soyez pas lâches ; et ne pillez pas. Et en vérité Dieu aidera ceux qui L’aident et aident Ses messagers sans Le voir. En vérité, Dieu est fort, puissant. »

En ce qui concerne les prisonniers, les tuer est interdit par la loi islamique [charia]. Pourtant vous avez tué de nombreux prisonniers dont 1 700 au Camp Speicher à Tikrit en juin 2014 ; 200 prisonniers au champ de gaz de Sha’er en juillet 2014 ; 700 prisonniers de la tribu des Chaïtat à Deir ez-Zor (dont 600 étaient des civils non armés) ; 250 prisonniers à la base aérienne de Tabqah à Rakka en août 2014 ; des soldats kurdes et libanais, et Dieu sait qui et combien d’autres. Ce sont là d’atroces crimes de guerre. […]

17. Torture
Vos prisonniers et certains de ceux qui étaient sous votre contrôle ont rapporté que vous les avez torturés et terrorisés en les battant ; que vous avez usé du meurtre et de diverses formes de torture, dont l’inhumation de personnes vivantes. Vous avez décapité des gens au couteau, ce qui est l’une des formes de torture les plus cruelles et est interdit par la loi islamique (charia). Lors des massacres que vous perpétrez – et qui sont proscrits par la loi islamique –, vos combattants se moquent de ceux qu’ils s’apprêtent à tuer en leur disant qu’ils seront abattus comme des moutons, puis bêlent, avant de les massacrer en effet comme des moutons. Vos ­combattants ne se contentent pas de tuer, ils ajoutent au meurtre l’humiliation, l’avilissement et la moquerie. Dieu dit : « Ô vous qui avez cru ! qu’un groupe ne se raille pas d’un autre groupe : ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. » (Al-Hujurat, 49 : 11).

18. Mutilation
Non seulement vous avez mutilé des cadavres, mais vous avez mis sur des piques les têtes décapitées de vos victimes et avez tapé dedans comme dans des ballons, puis vous avez diffusé ces images dans le monde pendant la Coupe du monde de football– sport en principe autorisé par l’islam et qui permet aux gens de se débarrasser de leur stress et d’oublier leurs problèmes. Vous avez ricané devant des cadavres et des têtes coupées, et diffusé les images de ces actes depuis les bases militaires que vous contrôliez en Syrie. Vous avez ainsi fourni de nombreux arguments à ceux qui veulent qualifier l’islam de barbare en diffusant les images d’actes barbares dont vous prétendez qu’ils ont été commis au nom de l’islam. Vous avez donné au monde un bâton pour battre l’islam alors qu’en réalité l’islam est complètement innocent de ces actes et qu’il les proscrit. […]

22. Le califat
Il existe un accord (ittifaq) parmi les savants pour dire que le califat relève de la responsabilité de l’oumma [la communauté des musulmans]. L’oum­ma reste sans califat depuis 1924 [date du démantèlement de l’Empire ottoman]. Or un nouveau califat nécessite un consensus de l’ensemble des musulmans, et non celui de quelques personnes réunies sur quelque parcelle du monde. Omar ibn Al-Khattab a dit : « Quiconque a fait serment d’allégeance à un homme sans consulter les musulmans s’est fourvoyé ; et ni lui ni l’homme à qui il a prêté allégeance ne doivent être suivis car ils ont tous deux mis leur vie en péril. » Annoncer un califat sans consensus constitue une sédition (fitnah) parce que cela laisse hors du califat la majorité des musulmans qui ne l’approuvent pas. Cela mènera également à l’émergence de nombreux califats rivaux, semant de ce fait la sédition et la discorde (fitnah) parmi les musulmans. Les débuts de cette discorde se sont déjà annoncés quand les imams sunnites de Mossoul ne vous ont pas fait allégeance et que vous les avez tués. 

Dans votre discours, vous avez cité le compagnon Abou Bakr As-Siddiq : « On m’a donné l’autorité sur vous, et je ne suis pas le meilleur d’entre vous. » Ce qui amène la question suivante : qui vous a donné l’autorité sur l’oumma ? Votre groupe ? Si tel est le cas, alors un groupe de quelques milliers tout au plus a lui-même proclamé sa souveraineté sur un milliard et demi de musulmans. Cette attitude est fondée sur une ­logique circulaire viciée qui dit : « Nous seuls sommes musulmans, et nous décidons qui est calife, nous en avons choisi un, et quiconque ne l’accepte pas comme tel n’est pas musulman. » Dans ce cas, un calife ne serait rien de plus que le chef d’un groupe particulier qui déclarerait que plus de 99 % des musulmans ne seraient pas musulmans. Si à l’inverse vous reconnaissez comme tels le milliard et demi de gens qui se considèrent musulmans, comment pouvez-vous ne pas les consulter (­shura) à propos de votre soi-disant califat ? ­Ainsi vous devez assumer l’une de ces deux conclusions : soit vous convenez qu’ils sont musulmans et qu’ils ne vous ont pas désigné comme leur calife – dans ce cas vous n’êtes pas le calife –, soit l’autre conclusion : vous ne les acceptez pas comme musulmans, et dans ce cas les musulmans sont un petit groupe qui n’a pas besoin de calife, donc pourquoi utiliser le terme de califat ? En réalité, le califat doit émerger d’un consensus entre les pays musulmans, les organisations de savants islamiques et les musulmans du monde entier. 


Traduit de l’anglais par CHARLOTTE GARSON
Source : lettertobaghdadi.com

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