L’émergence au cours des années 1980 du Front national de Jean-Marie Le Pen a pu être perçue comme la résurrection d’un populisme proprement français aux multiples ramifications, dont l’origine remonte au général Boulanger (1837-1891). Paradoxalement, ce nouveau « national-populisme » français, lepéniste, a pris son essor à peu près au même moment que les populismes autrichien, suisse ou italien du Nord. Tous ces partis émanaient, au départ, de traditions politiques fort différentes mais puisaient dans un contexte relativement commun lié à la fin des Trente Glorieuses et du « consensus social-démocrate », à l’ouverture accrue aux échanges et à l’attractivité exercée par les institutions européennes. Sans doute ces familles politiques ont-elles développé un point commun : un discours définissant un « eux » et un « nous », la dénonciation d’élites ayant « trahi » au profit, le plus souvent, des immigrés (voire des Slovènes en Autriche).

À n’en pas douter, le Rassemblement national garde sa matrice nationale-populiste. Mais est-il désormais le seul mouvement populiste en France ? La crise économique et financière de 2008 a une dimension organique : entre les faits économiques et la représentation collective globalement acceptée de ceux-ci, un divorce s’est opéré. Plusieurs conséquences en ont découlé, dont la fragilisation des grandes identités politiques traditionnelles et l’effritement du système partisan du régime politique de la Ve République. Les quinquennats Sarkozy et Hollande sont consécutivement ceux d’une crise de régime, d’où est sortie l’élection de 2017.

Originaire du Sud de l’Europe, une forme nouvelle de « populisme » a éclos sur les ruines fumantes de la crise de 2008. La France insoumise a ainsi pu donner l’impression que le « populisme de gauche », théorisé par Chantal Mouffe, avait pris pied en France. Quand on évoque le « populisme de gauche », il faut bien avoir en tête qu’il s’agit d’une stratégie et non d’un projet ou d’un programme. Venu principalement d’Espagne, il est censé s’appuyer sur une forte décentralisation du mouvement social et la transversalité – par-delà les vieilles identifications politiques – des préoccupations matérielles et post-matérialistes. Pour le dire trivialement, la transversalité vise à faire voter un électeur de la « droite Sardou » pour la « gauche Monde diplo ». Mais la campagne Mélenchon, pour talentueuse qu’elle fut, a surtout drainé un électorat aligné à gauche, recueillant près de 20 % des voix lors de l’élection de 2017.

La liquidation du système partisan de la Ve République lors de cette élection présidentielle a plongé le champ politique dans un chaos dont nous ne sommes pas sortis. Le candidat élu stabilise la crise de régime sans résoudre la crise organique. L’opération menée par Emmanuel Macron peut, en partie, faire penser à celle menée, sabre au clair, par Berlusconi en 1994. Ce dernier réunit autour de lui démocrates-chrétiens, socialistes craxistes (centre gauche) et des petits partis de droite, et alla même jusqu’à s’allier à l’extrême droite. Il parvint ainsi à clore la crise de régime en substituant un nouveau système partisan à l’ancien. Avec Emmanuel Macron, le « eux » et le « nous » est fluctuant, plastique, change selon les opportunités. Il est fortement élitaire, aisé, urbain. À la suite d’Íñigo Errejón, ancien numéro deux de Podemos, on pourrait le caractériser comme un « populisme antipopuliste », voire un « populisme des élites ».

Le populisme et sa persistance sont la conséquence, d’abord, de la crise de 2008. S’y ajoute désormais la crise écologique. Autant dire que l’histoire n’est pas finie.  

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