Après son élection, Trump a développé avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, surnommé « Bibi », une relation que beaucoup ont jugée « fusionnelle », tant la proximité entre les deux hommes était mise en avant par l’un comme par l’autre. Lors de sa récente campagne législative, Netanyahou a multiplié les affiches et les spots électoraux où on le voyait en compagnie de Trump, un homme jusque-là adulé en Israël comme dans aucun autre pays au monde. Or voici que l’Israélien, le 18 septembre, perd les élections qu’il a lui-même convoquées. Le lendemain, un journaliste américain demande à Trump s’il a appelé son grand ami. « Non », répond-il, avant de préciser qu’il n’entretient pas de lien particulier avec Netanyahou. « Notre relation est avec Israël. On va voir ce qui va se passer. »

Si Bibi a pu penser un seul instant qu’il bénéficiait d’un régime de faveur auprès du Donald, et peut-être même d’une forme d’amitié, le voilà renseigné. Car s’il est une catégorie d’hommes que Trump méprise, ce sont les perdants. Le quotidien américain USA Today a recensé que le terme loser (« perdant ») est celui que Trump emploie le plus contre ses opposants – en politique comme dans le business. Dans sa bouche, il n’est pas d’insulte plus dégradante. Et lorsque, le 22 mai 2017, il réagit à l’attentat-suicide commis à Manchester (23 morts, 150 blessés) et plus tard revendiqué par Daech, il ne traite pas son auteur de monstre ou de barbare, comme le font d’habitude les dirigeants de pays qui subissent le terrorisme de masse. Non, il le traite de loser. Rien n’est pire qu’être un perdant. Diviser l’humanité entre gagnants et perdants, forts et faibles – ce qui, à ses yeux, est équivalent –, relève davantage du regard d’un businessman que d’un politicien.

Trump est fort parce qu’il apparaît comme fort, qu’il parle fort, qu’il promeut la force plus que tout autre principe de vie – et ses partisans les plus exaltés l’adulent précisément pour cela. Il est fort parce qu’il ne fraye qu’avec des forts, jamais avec les losers. Être fort, c’est appartenir au camp des vainqueurs. Poutine et Xi Jinping sont forts. Netanyahou et Mohammed Ben Salman (MBS), le prince-héritier saoudien, paraissaient forts également. Mais désormais, pour eux, « on verra ce qui va se passer ». Le fort est « disruptif », comme on dit de nos jours. Il ne fait pas du respect de la loi l’alpha et l’oméga de son comportement, il impose sa propre règle au motif qu’il est fort, parce que, comme disent les Anglo-Saxons, Might makes right – la force fait le droit.

Que Trump soit disruptif est vraisemblablement ce qui plaît par-dessus tout à sa base électorale fidèle. Il tourne le dos aux accords internationaux que son prédécesseur a signé (la COP21 sur le changement climatique) ; il rompt avec des résolutions du Conseil de sécurité que ses membres permanents ont unanimement voté (l’accord avec l’Iran sur la limitation de ses recherches nucléaires militaires). Non seulement la force impose le droit, mais les normes de la démocratie sont, elles aussi, sujettes à des normes supérieures. D’où la mise en avant d’un aspect que l’on retrouve dans de nombreux mouvements populistes contemporains : la loyauté envers l’État n’est pas fondée sur la citoyenneté, mais découle prioritairement et naturellement de l’appartenance à la majorité ethno-raciale de la nation – les Blancs aux États-Unis pour Trump, les « vrais Français » pour Marine Le Pen, les « vrais Hongrois » pour Viktor Orban, et de même pour leurs semblables européens – ou à la religion principale – les hindouistes en Inde pour Narendra Modi. 

Par opposition, tous ceux n’appartenant pas à cette majorité sont ipso facto naturellement suspects. Trump est-il raciste ? Aux États-Unis, beaucoup le pensent. Pourtant, en la matière, ses sorties tendancieuses semblent davantage opportunistes que nourries par une conviction profonde. Durant sa campagne électorale, il laisse ses partisans diffuser des spots où l’on voit Hillary Clinton assise sur un tapis de dollars et entourée d’étoiles de David. La référence à Wall Street et à la « finance juive » est claire. Mais il ne rate jamais l’occasion de rappeler que sa fille s’est convertie au judaïsme et qu’il a des petits-enfants juifs. Idem vis-à-vis des Noirs et des Hispaniques. Ses propos aux relents racistes à leur égard ne se comptent plus, mais il rappelle systématiquement ses liens avec des artistes africains-américains et flatte les entrepreneurs latinos qui ont « réussi » (les autres sont des losers). Et il ne cesse de proclamer qu’il est « la personne la moins raciste au monde ». Bref, Trump entretient d’abord un rapport utilitaire et opportuniste au racisme – comme, sans doute, envers toute chose. Il est raciste lorsque ça le sert. Il ne l’est pas lorsque cela le dessert.

Il est, de ce point de vue, différent d’un Modi, d’un Orban ou d’un Bolsonaro, chez qui le racisme apparaît constitutif de leur idéologie. C’est que, dans la gestuelle et le verbe de Trump, la part de l’égocentrisme semble considérablement disproportionnée en comparaison de celle présente chez d’autres politiciens. C’est aussi que son attitude ambivalente et pragmatique sur les questions raciales – d’un côté favoriser les pires propensions, de l’autre nier radicalement être raciste – lui permet de coaliser des fractions différentes de son électorat et de les rassurer. Chacune retient ce qu’elle souhaite en retenir. 

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