Voyez combien elle est toujours en forme !
C’est qu’elle se porte bien
en notre siècle, la haine.
Avec quel naturel elle prend les plus hauts obstacles.
Combien il lui est facile : sauter, saisir.

Rien à voir avec d’autres sentiments.
Leur aînée, et pourtant leur cadette.
Elle sait engendrer toute seule
ce qu’il faut pour vivre.
Si elle dort, ce n’est jamais d’un sommeil éternel.
L’insomnie ne lui ôte pas ses forces, au contraire.

Religion ou pas religion, l’essentiel
c’est d’être dans les starting-blocks.
Patrie ou pas patrie, l’essentiel
c’est de se lancer dans la course. 
La justice n’est pas mal, au début. 
Ensuite, elle cavale toute seule. 
La haine. La haine. 
Le visage tordu
par l’amoureuse extase. 

Ces autres émotions – pouah !
Chétives et avachies.
Depuis quand la fraternité
attire-t-elle les foules ?
A-t-on vu la miséricorde
prendre les autres de vitesse ?
Le scrupule soulève – combien de prosélytes ?
Pour soulever y a qu’elle, on ne la lui fait pas.

« Rien de nouveau sous le soleil. » Paru en 1993, « La haine » parle du XXe siècle autant que du nôtre. Wisława Szymborska, Prix Nobel de littérature en 1996, a connu la Pologne communiste. Pour elle, la haine n’est pas aveugle mais un sniper intrépide. Le seul sentiment à regarder l’avenir en face… 

 

De la mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009, traduit du polonais par Piotr Kaminski
© The Wisława Szymborska Foundation, www.szymborska.org.pl
© Éditions Gallimard, 2018

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