En tant qu’épidémiologiste, j’étudie la distribution et les causes dans l’espace et dans le temps des maladies allergiques et respiratoires. L’objectif est d’en expliquer l’évolution pour pouvoir, dans un second temps, mettre en place des mesures de prévention. Ces dernières années, ces types de pathologies ont été, et continuent d’être, en nette et constante augmentation. L’asthme est un exemple frappant : dans les pays au mode de vie occidental, le nombre de cas a doublé en quarante ans. L’évolution des cas de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), une maladie chronique des voies aériennes inférieures caractérisée par une perte de la fonction respiratoire qui conduit à la mort, est un autre exemple alarmant. Pathologie négligée jusqu’à présent, la BPCO est en passe de devenir la troisième cause de mortalité dans le monde. À elles seules, ces deux maladies contraignent aujourd’hui trois millions de Français à prendre un traitement. 

Mon champ de recherche privilégie l’étude des facteurs environnementaux. C’est un choix de ma part : l’environnement, contrairement aux gènes, est un facteur sur lequel il est possible d’agir. De plus, l’environnement a aussi une influence sur le fonctionnement des gènes. L’exemple des jumeaux monozygotes le prouve : avec les mêmes gènes, l’un peut développer une maladie et l’autre non. Pour comprendre le développement des maladies, nous avons recours à une approche exposomique, c’est-à-dire que nous étudions l’ensemble des expositions environnementales d’un individu dans sa vie entière, plutôt que de les étudier isolément. Cette approche nous a permis de dégager des pistes, comme le lien à la fois indiscutable et variable entre pollution de l’air et asthme. On a notamment observé que les enfants qui naissent en zone polluée, s’ils pratiquent un exercice physique et ont une alimentation saine à base de vitamines et d’antioxydants, risquent moins de souffrir d’asthme. 

Notre discipline n’est pas réellement affectée par le phénomène des fake news. En revanche, nos études sont parfois décriées du fait du décalage entre le temps de la recherche et celui des médias. Le public, qui se sent très concerné par l’évolution des maladies allergiques et respiratoires parce qu’il la vit au quotidien, exige des données scientifiques très pointues, que nous ne sommes pas toujours en mesure de transmettre du fait de l’émergence relativement récente de notre champ de recherche. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des effets sanitaires du changement climatique. Ce phénomène a lieu sur une période longue et nous ne pouvons pas toujours nous appuyer sur des données du passé exploitables à travers nos modèles. Sauf peut-être pour ce qui est du pollen. Ici, on a de la chance, car les botanistes et palynologues, dont la science est très ancienne, ont récolté des données depuis des siècles. Ils nous ont transmis des connaissances qui nous permettent de décrire aujourd’hui de manière objective des phénomènes liés au changement climatique : accentuation de la pollinisation, changement de sa durée, changement de la distribution des plantes, etc. Mais la plupart du temps, en tant que scientifiques, nous ne pouvons que soulever des hypothèses. Notre prudence peut alimenter une certaine défiance de la part du public. L’incertitude de nos études le conduit parfois à remettre en question nos résultats. Ce fut le cas, par exemple, avec les cas d’asthme déclenchés par l’orage. En 2010, nous avons observé une corrélation entre une période d’orage et une augmentation subite du nombre de personnes se présentant aux urgences avec de l’asthme. On s’est demandé pourquoi et on s’est rendu compte que, lorsque l’orage se prépare, des masses d’air humide se déplacent et des différentiels de potentiels entre les nuages créant la foudre font que les pollens dans l’air descendent et se cassent en microparticules particulièrement allergisantes. La plupart des gens sensibles au pollen développent en temps normal des rhinites : les pollens, trop gros, se logent dans le nez, sans pouvoir descendre plus bas dans l’arbre respiratoire. Dans tous les épisodes de pic de crises d’asthme lié à l’orage – il y en a eu au Royaume-Uni, en France, en Australie, au Canada et aux États-Unis –, les microparticules ont traversé le filtre du nez et sont descendues dans les bronches. Des sujets rhinitiques ont alors fait une crise d’asthme pour la première fois de leur vie à l’occasion de cet orage. Ils n’y étaient pas préparés et ont dû se rendre à l’hôpital qui, lui non plus, n’était pas prêt à prendre en charge une telle affluence : en Australie en 2016, 9 000 cas se sont présentés aux urgences le même jour, et 10 personnes sont décédées. La crédibilité de cette hypothèse a été mise en doute et cette information est passée pour une fake news. 

Cette défiance peut s’avérer particulièrement néfaste lorsqu’elle constitue un argument politique pour éviter la prise de décisions. Je pense notamment au cas du village de Langouët, en Bretagne, où le maire a tenté d’interdire l’utilisation des pesticides par un arrêté municipal que la préfecture a suspendu. Nous avançons dans nos recherches et chaque nouvelle étude confirme que les pesticides sont dangereux pour la santé. Nous n’avons néanmoins pas réalisé assez d’études et n’avons donc pas suffisamment de recul aujourd’hui pour évaluer avec une certitude scientifique la dangerosité de tous les produits. Ce manque de données scientifiques est utilisé par certains dirigeants pour se soustraire à leurs responsabilités en matière de santé publique, au profit d’un maintien de la paix sociale et d’un certain équilibre économique.

L’urgence climatique actuelle ne nous permet pas d’attendre qu’un nombre suffisant d’études soit atteint pour prendre des décisions. Il faut adopter le principe de précaution qui, permettez-moi de le rappeler, est inscrit dans la Constitution. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

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