Comment se caractérisent les glaciers de l’Himalaya ?

Par leur nombre et leur immensité. Si on considère l’ensemble des hautes montagnes d’Asie, dont l’Himalaya stricto sensu représente environ le quart, il y a cinquante fois plus de surface englacée que dans les Alpes. Les images satellites permettent d’avoir une vue globale sur 100 000 kilomètres carrés de glaciers qui couvrent les hautes montagnes que sont, d’ouest en est, le Pamir, le Tian Shan, l’Hindu Kouch, le Karakoram, l’Himalaya proprement dit et le plateau tibétain. L’étendue est telle que les glaciers connaissent des climats très différents. S’ils se trouvent au nord-ouest de la chaîne, ils sont soumis aux dépressions d’ouest : ils sont alimentés en neige pendant l’hiver et fondent pendant l’été. Contrairement à la partie sud-est de la chaîne, soumise à la mousson asiatique, où les glaciers reçoivent des précipitations surtout l’été tandis que l’hiver est extrêmement sec. On a donc un contraste très fort à la fois dans les climats et dans la réponse des glaciers au changement climatique.

Les glaciers sont-ils en train de fondre ?

Si on regarde l’ensemble de la chaîne, qui fait plus de 3 000 kilomètres de long, on a des situations très différentes. Au sud-est, les glaciers perdent de la masse depuis le début des années 2000. Cela a même commencé beaucoup plus tôt d’après ce que révèlent des images satellites déclassifiées des années 1970. Ils perdent de la masse, mais pas à un rythme aussi rapide que les glaciers des Alpes. Enfin, ça dépend des endroits : dans la partie orientale du Tibet, où l’on constate les records de perte de volume, les glaciers perdent environ 1 mètre d’eau par an, comme dans les Alpes.

Un mètre d’eau ?

On exprime la perte ou le gain de masse des glaciers sur un an sous la forme d’une lame d’eau qui serait répartie sur l’ensemble de la surface du glacier. De cette façon, on peut comparer les petits glaciers et les grands : si on vous donnait un nombre de mètres cubes perdus par un glacier ça ne signifierait rien, si on ne le rapportait pas à sa taille. Cette lame d’eau est ce qu’on appelle le « bilan de masse » du glacier. Selon les endroits, là où la fonte est maximale, c’est presque un mètre d’eau par an, ce qui correspond aux moyennes dans les Alpes depuis les années 2000.

La fonte est donc importante au Tibet…

Non, pas partout. Dans les montagnes du Kunlun, à l’extrémité ouest du Tibet, les glaciers sont à peu près stables depuis le début des années 2000, voire gagnent un peu de masse – jusqu’à 15 cm d’eau par an. Si on est dans la partie centrale de l’Himalaya en revanche, c’est-à-dire le Népal ou une partie du Nord de l’Inde, les glaciers perdent de la masse, mais deux fois moins vite que dans les Alpes : ils perdent une lame d’eau d’environ 30 à 50 cm par an.

Qu’appelle-t-on « l’anomalie » du Karakoram ?

Le Karakoram est une chaîne de montagnes du Nord du Pakistan et de l’Inde qui non seulement ne perd pas de glace, mais en gagne légèrement, comme dans le massif du Kunlun. Beaucoup de chercheurs travaillent sur cette anomalie, centrée en fait sur le Kunlun, et qui a été repérée depuis une dizaine d’années mais qui existe depuis au moins 1970. Cette région, comme les autres, est soumise au réchauffement climatique. Or la réponse des glaciers y est différente : pourquoi ? Première explication : on a constaté une augmentation des précipitations sur l’ensemble de l’année qui, en altitude, prennent la forme de neige. Les chutes de neige viennent compenser la hausse des températures, du coup les glaciers finissent par gagner de la masse. Deuxième explication : les glaciers de cette région sont moins sensibles à la température que les glaciers du reste de la chaîne himalayenne. C’est quelque chose qui est connu dans le monde de la glaciologie : selon l’endroit où est situé le glacier, une augmentation de température de 1 °C ne se répercute pas de la même façon. Dans le sud-est de la chaîne, où les glaciers sont régénérés uniquement pendant la période de mousson estivale, l’augmentation des températures a un impact direct sur les précipitations : au lieu d’avoir de la neige, on a de la pluie à l’altitude des glaciers. Or la neige protège de la fonte parce qu’elle réfléchit le rayonnement solaire ; s’il y a moins de neige, le glacier absorbe plus de rayonnement solaire, donc va fondre davantage. Mais dans le Karakoram et le Kunlun, il neige en hiver, quelle que soit l’augmentation de température. Leurs glaciers ont un turnover rapide : ils gagnent de la masse en hiver et ils fondent en été, sauf que la nébulosité accrue les protège des rayons du soleil et ralentit leur déperdition. En fin de compte, les températures en été n’augmentent pas, voire décroissent légèrement. Le réchauffement climatique est compensé par les nuages.

Est-ce que la fonte dépend de la taille des glaciers, de leur pente, de leur orientation ?

Comme nous nous posions cette question, nous avons étudié tous les paramètres morpho-topographiques des glaciers de l’Himalaya, la taille, la pente, l’orientation, l’exposition, la couverture ou non par des débris… Et nous avons comparé ces paramètres à la perte de masse des glaciers depuis les années 2000. Ce qui joue un rôle, c’est la pente de la zone terminale du glacier. Si elle est plate, elle est en général plus large et sa perte de masse glaciaire est plus importante, parce qu’elle est plus sensible au réchauffement. Un autre paramètre est l’altitude moyenne du glacier : c’est facile à comprendre, plus le glacier est haut, moins il fond. Nous avons travaillé sur un échantillon de 6 500 glaciers himalayens et il est apparu que l’ensemble des caractéristiques « morpho-topo » ne parviennent pas à expliquer plus de 40 % de la variance de leur masse. Conclusion, c’est bien le climat qui contrôle l’évolution des glaciers, dans une proportion de 60 à 90 %. 

 

Propos recueillis par SOPHIE GHERARDI

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