Elle le croyait forcément tolérant puisqu’il était doux et beau. Comme si la tolérance allait de soi, comme si elle ne nous était pas apprise. La vérité tombe le jour où il vient pour le week-end. Elle veut lui faire découvrir un Paris un peu secret : le quartier asiatique où elle a vécu deux ans. Dès la sortie du métro, il paraît ne pas comprendre ce qu’ils font là, au milieu de tours sales où se bouscule une foule terne, mal fagotée. Tout le temps de la balade, son expression reste tendue. Le cancer lui étouffe déjà la poitrine, mais il n’en sait encore rien. Ce qui le fait souffrir ce jour-là, c’est de la voir aimer ces lieux, ce bistrot où un Arabe parle fort au téléphone et où des Chinois crachent par terre. 

Chez lui, on parlerait de crapis. C’est le nom qu’on donne aux pauvres et c’est de là qu’il vient, une famille de crapis. Ils étaient douze enfants, ses plus jeunes sœurs sont quasiment analphabètes, à jamais détruites par la peur qu’elles ont eue de leur père. S’il l’a aimée elle, la citadine en vacances, c’est qu’elle vient d’un milieu éduqué auquel il aspire autant qu’il est possible quand il s’agit de renier une identité dont on a honte. Mais voilà qu’elle se complaît dans les quartiers décatis où Paris refoule ses immigrés. Sa déception s’exacerbe au fur et à mesure que sa gorge à elle se noue à l’idée du malentendu qui se fait jour. De Paris, il aurait fallu lui montrer les beautés qu’il connaissait par les images. Elle n’aurait su que plus tard – ou jamais, vu qu’il mourra un an plus tard – ce qu’il vote, ce qui les sépare. Ce même soir dans son studio du VIe, il ne la touche pas. Jamais plus elle ne retrouvera la douceur de ses attentions quand il la servait au bar du casino du Touquet où il travaille. Il maigrit depuis plusieurs mois. Les os de ses mâchoires crispées ressortent sous la peau grise. Elle le sait fou de rancune et de colère contre elle, alors qu’elle commence déjà à se mentir, parce que c’était bon et beau de l’aimer.  

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