L’Amazonie n’est pas un simple océan houleux de verdure, un monotone brocoli géant ou le poumon essoufflé de la planète, mais bien un trésor de biodiversité longtemps ignoré. Rendons donc le mot « exotique » à Rabelais, qui l’inventa au XVIe siècle, pour nous interroger sur la réalité de cet ailleurs tropical que représente l’Amazonie.

On a longtemps affirmé d’autorité que la ceinture équatoriale du globe était un lieu de dégénérescence pour la culture et qu’aucune civilisation remarquable n’avait jamais pu s’y développer. Le paradigme dominant autrefois les sciences humaines s’appuyait sur l’idée que la géographie décidait du niveau d’évolution des sociétés. Cette opinion se mesurait à l’aune des contrées tempérées qui étaient censées avoir vu l’accomplissement suprême de l’humanité. 

Cette arrogance n’est heureusement plus de mise, et toutes les avancées de la recherche démontrent qu’au contraire, les tropiques furent, et sont encore, sources de foisonnement de vie. L’archéologie révèle depuis quelques années les stupéfiantes innovations produites par les tropiques. Ainsi, sur les quatorze grands foyers mondiaux de domestication des plantes, dix sont localisés sur la ceinture tropicale. Rien que dans le foyer amazonien, il existe au moins 86 plantes natives présentant un certain degré de domestication. Les humains ont développé des stratégies inhabituelles et ont mis au point des systèmes techniques essentiels dans ces contrées, devenant ainsi souvent précurseurs par rapport aux autres régions biogéographiques de la Terre.

Les Amérindiens ont transformé profondément l’Amazonie, que ce soit son couvert végétal, la nature des sédiments ou même le modelé du sol. Le manteau végétal couvrant la région est beaucoup moins naturel que son exubérance ne le laisse croire, les premiers peuples ayant désherbé, planté, multiplié, croisé, associé ou amélioré les espèces. L’observation minutieuse de la végétation amazonienne dans son état actuel ne laisse aucun doute sur l’importance de l’intervention humaine ancienne.

Bien plus que la végétation seule, les Amérindiens ont également modifié les sols en créant la terra preta – « terre noire » en portugais. C’est un sol composite, sombre et fertile, enrichi avec des débris d’occupation, du charbon et des cendres. Il en résulte de très longues et très denses implantations humaines le long des principales rivières. Ces taches sombres surgissent comme des îlots d’une fertilité surprenante au milieu d’un univers pédologique acide et pauvre.

Les anciennes populations ont enfin changé la morphologie même de la région. L’Amérindien a creusé, retourné, transporté, surélevé et édifié des milliers de mètres cubes de terre, remaniant plus ou moins radicalement le modelé de son territoire. Il faut imaginer une Amazonie précolombienne traversée de chemins permanents et parsemée de tertres, de digues, de canaux et fossés, de bassins et réservoirs, de champs surélevés de toutes formes, dimensions et agencements possibles. Ces terrassiers remarquables édifièrent de prodigieux monuments de terre.

Grâce à leur interaction intime avec la nature équatoriale, les autochtones ont pu se procurer de quoi se nourrir et faire mourir, habiter et festoyer, tout en respectant une convivialité distante avec les habitants non humains de la forêt. Dense, chaude et humide, la sylve amazonienne fut le berceau d’un fertile et heureux mariage entre humanité et nature, dont la postérité est encore tangible. 

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