La figure du général de Gaulle hante notre imaginaire politique. Comment ne pas rendre hommage à l’homme libre qui s’est insurgé contre l’esprit de défaite et l’ignominie de la Collaboration ? Comment ne pas saluer l’homme de raison qui a su, non sans ruse, mettre un terme à la guerre d’Algérie et à la colonisation ? Comment ne pas remercier l’homme d’État qui a su donner à la France des institutions stables et à ses successeurs les moyens de gouverner ?

Pour autant, le de Gaulle politique n’a pas voulu apporter au pays un héritage doctrinal qui dépasse ses réalisations. Ses écrits comme ses propos rapportés – parfois apocryphes – témoignent du pessimisme d’un homme qui se voyait comme le seul membre d’une lignée. Sa vision du pays était fondée sur une opposition entre la France et les Français, comme s’il estimait que ceux-ci ne seraient jamais à la hauteur de la France. Malraux rapporte cette phrase : « Les Français, je les ai amusés avec des drapeaux. » Le Général a privilégié – héritage de la Résistance – l’unité sur la division. À cette fin, il a forgé le mythe d’une France résistante et victorieuse. Ce mythe a permis de ranger la France parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et lui a assuré un statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Il fut aussi destructeur en ce qu’il a caché les divisions et le déshonneur de la Collaboration. Il a conduit les Français pendant trop longtemps à ne pas regarder leur histoire en face, avec cette illusion que mettre un couvercle sur les traumas du passé conduirait à éviter leur retour.

On retrouve cette idée d’unité dans la reprise du thème de l’intérêt général, supposé indiscutable, dont l’État serait garant devant la division des partis et du Parlement. Cette critique fondée de la IVe République repose sur l’idée d’une division illégitime qui laisse peu de place à une discussion sur l’intérêt national. On la discerne enfin dans la volonté du Général de mettre fin à l’opposition entre le capital et le travail, idée recevable mais qui récuse la logique d’intérêts. De Gaulle, non point par esprit dictatorial, mais parce qu’il plaçait la France au-dessus de tout, marginalise implicitement le corps social par une forme d’hyperrationalisme. Ses écrits attestent que l’homme du 18 Juin assignait à la politique une tâche dont il devait reconnaître l’impossibilité : opérer une réformation radicale de l’homme. Ce catholique fervent, averti du dogme du péché originel, mesurait avec désespoir la vanité des choses, comme si, finalement, la politique lui échappait.

En politique étrangère, d’un côté, de Gaulle a reconnu – ce qui est trop oublié – les vertus de l’Alliance et témoigné de sa solidarité avec les États-Unis lors de la crise de Cuba et de la deuxième crise de Berlin. Il déclarait à raison que « la France n’apprécie pas cette assimilation entre l’Alliance atlantique et la servitude communiste ». De l’autre, il n’a eu de cesse d’œuvrer à l’indépendance de la France – inséparable de la « grandeur » – et posé les bases toujours actuelles de l’autonomie de notre dissuasion. Cette synthèse nécessaire n’allait toutefois pas sans un naturalisme et un historicisme dans les relations entre les puissances. Il est difficile, dans les circonstances présentes, d’apprécier la postérité de ses initiatives tous azimuts et sa recherche d’un équilibre dont les futurs conflits du monde semblent annihiler la possibilité. 

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