Les plus de 65 ans représentent aujourd’hui près de 20 % de la population, soit environ 14 millions de personnes. Ces seuls chiffres soulignent à quel point les seniors ne sont plus une minorité, mais un véritable corps social. En quelques décennies, les progrès de la médecine ont bouleversé la donne : les femmes vivent en moyenne 85,4 ans et les hommes 79,5 ans en métropole. L’espérance de vie a augmenté de quatorze ans ces soixante dernières années. Nous avons tous ces données en tête, comme nous avons tous intégré à notre vocabulaire un sigle très abscons – Ehpad – qui désigne une réalité que nous espérons connaître le plus tardivement possible : les fameux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il faut bien une canicule ou des grèves de personnels soignants dans ces maisons pour nous rappeler la face douloureuse et grimaçante de la vieillesse.

Au moment où la puissance publique, dans un grand élan compassionnel, invite chacun à boire beaucoup d’eau et à prendre soin des plus âgés, où il est aussi question de réformer le régime des retraites, ce numéro se propose d’offrir plusieurs éclairages sur cette question et pointe quelques tabous. Le plus puissant concerne probablement ce qu’on appelle pudiquement la « silver économie ». Si les frais médicaux liés aux troisième et quatrième âges sont en effet en croissance continue, ils ne doivent pas dissimuler qu’un immense secteur d’activité est né pour se mettre au service d’une population vieillissante et parfois dépendante. Il y a donc bien là création de richesse, d’emplois, d’industries. Bref, la vieillesse est un état et un… marché. Avec ses taux de rendement, ses marges. À ce titre, la longévité est une bonne affaire.

L’autonomie des personnes âgées est un autre tabou connexe. Vivre plus longtemps ? Oui, mais dans quelles conditions mentales et physiques ? On ne parle plus aujourd’hui de mouroirs ou d’hospices, mais la réalité des souffrances et de la solitude est-elle si différente ? Les chiffres sont cruels : l’association France Alzheimer indique que près de 225 000 nouveaux cas de cette maladie sont diagnostiqués chaque année. Et ce n’est qu’une des pathologies qui guettent le grand âge. En regard, aucune possibilité légale d’abréger le cours de sa vie n’est encore envisagée, contrairement à ce qui se fait en Belgique ou en Suisse. 

Enfin, un autre tabou encourage notre cécité : dans une société qui voue un culte au jeunisme, la confrontation avec les dures réalités de l’âge est sans cesse repoussée et le lexique soigneusement expurgé. Les « seniors » ont définitivement remplacé les « vieux » et les « vieillards ». Senior… le mot plaît, il est doux, branché, presque jeune ! 

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