Quel écolo êtes-vous ? La question est bonne parce qu’elle rappelle la complexité du défi concret (changer de trajectoire globale) et sa ramification intime (changer son mode de vie). Elle suggère le danger d’une parole sans actes. Aujourd’hui presque tout le monde est écolo ou prétend l’être, les jeunes comme les vieux, les politiques comme les citoyens. Mais le mot « écolo » pourrait n’être qu’une coquille vide, une prétention sans suite, une fausse préoccupation. Chacun risque de n’être qu’un « écolo fumiste ». Si les climatosceptiques en France se replient, si les climatocyniques dans le monde demeurent nombreux, les « écolos » sont-ils pour autant à la hauteur ? Qui agit vraiment comme tel et comment ? Je veux bien m’interroger moi-même. Quels changements ai-je initiés dans mon existence ? Quels gestes ai-je inventés ? Mes modes de déplacement, mon alimentation, ma consommation, mon attention, mon regard, qu’est-ce qui a changé ? Car si les causes du désastre nous sont connues, les moyens d’action individuelle nous semblent réduits et dérisoires. Nous sentons bien que vivre en « écolo » suppose un effort, des renoncements, un tâtonnement en attendant que tout ait changé.

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Je voyage en train, j’aime le réseau ancien des TER, j’aime les vieilles gares dans les bourgs. Je n’allume plus « toutes les lampes ». Je ne laisse pas couler l’eau. Je trie mes déchets. Je mange peu de viande et pas de poisson. Comme tout le monde je crains les pesticides, je vais au marché, je fréquente un maraîcher bio. C’est peu. Me suis-je jamais prétendue « écolo » ? Je prononce souvent cette phrase : « Non merci, je suis écolo. » Il s’agit chaque fois de refuser un sac plastique au commerçant qui me le propose ou me demande si j’en veux un (le progrès en est là). Refuser le sac plastique à son client n’est pas encore un pouvoir du commerçant. J’y vois le symbole de l’antagonisme entre le business et l’écologie. La crainte subsiste que le client frustré – éduqué contre son gré – ne mette plus les pieds dans ce magasin. Imagine-t-on que l’écolo devrait à l’inverse ne plus mettre les pieds chez le commerçant qui distribue encore des sacs ? Je hais les sacs plastique, et tous ceux qui les donnent ou les demandent suscitent en moi une colère. L’image, en une de presse, du désormais fameux septième continent m’a marquée : trente mètres de profondeur, sept fois la superficie de la France, tournoyant dans le Pacifique. Des milliers de poissons et d’animaux intoxiqués. Un désastre marin au cœur des espaces que nous supposions vierges et sublimes. Autrefois les gens avaient leur sac à pain, leur panier à provisions, leur charrette de marché, je fais comme eux, il n’y a même pas besoin d’inventer. 

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Je pense autant au passé qu’à l’avenir : quels paysages regardaient mes grands-parents dont je suis déjà privée aujourd’hui ? Quelles défigurations priveront mes enfants ? Je me rappelle le temps où personne n’était écolo, quand mon grand-père né en 1910 me parlait du Club de Rome. La Terre était pour lui un système : toute action engendrait des effets de retour. Nous y voilà, me dis-je aujourd’hui. Dans la décennie soixante-dix, les mots et les maux de la nature étaient autres. « Anthropocène » n’appartenait pas au vocabulaire commun. Frédéric Rossif achevait Les Oiseaux du monde sur la scène archétypale de la pollution moderne : la marée noire. Les macareux englués dans le mazout agonisaient sur les plages. L’Amoco Cadiz avait frappé. La première loi vint : nettoyer ses cuves en pleine mer fut interdit et passible d’amendes. Certains disaient que leur montant n’était pas dissuasif : inférieur au coût d’un nettoyage dans les règles. Voilà mon premier souvenir. 

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Depuis toujours j’aime les bêtes, leur silencieuse présence, la peur fondamentale qui les tient aux aguets, leur beauté qu’elles ignorent. J’aime les oiseaux, leur sautillement sur terre, leur vivacité brusque, leur plumage, cette altérité radicale. J’aime les bêtes qui se tiennent loin des hommes, leurs splendeurs inaccessibles. L’écologie a commencé avec elles. Mais j’aime les mulots, les écureuils, les hérissons, les biches, les poissons… Plus j’avance en âge, plus je regarde. Les bêtes, les arbres, les champs, les fleurs. Je suis à ce stade originel : regarder, apprécier, protéger. Et je veux moi aussi des coquelicots.

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C’est à Paul Watson que je dois mon « supplément d’attention ». En 2006, il apparaissait dans le beau film de Rob Stewart : Les Seigneurs de la mer. Sa vie entière était dédiée à la défense de la terre. Les loups, les forêts, les phoques, les requins, les baleines avaient tour à tour reçu son aide efficace. Je lui ai consacré un roman. Rendre hommage aux grands militants et faire publicité de leur action me semble utile. Alors pour finir j’aimerais dire mes admirations : à Paul et sa Sea Shepherd bien sûr, à Fabrice Nicolino, à Grégoire Lunven, bel exemple de jeunesse mobilisée, à Lucile Schmid, fondatrice du PRÉ (le Prix du roman d’écologie auquel j’ai l’honneur de participer), mon amie sans qui je serais encore plus insuffisante. 

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