Vous n’en finissez pas d’ajouter encore des choses,
Des boîtes, des maisons, des mots.
Sans bruit l’encombrement s’accroît au centre de la vie,
Et vous êtes poussés vers la périphérie,
Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties ;
Vous n’existez plus qu’à l’état de débris ou de fumée.
Cependant vous marchez,
Donnant la main à vos enfants hallucinés
Sous le ciel vaste, et vous n’avancez pas ;
Vous piétinez sans fin devant le mur de l’étendue
Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,
Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière
Qui a de plus en plus de peine à vous rêver.
Avant de disparaître,
Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,
Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,
Et ses traits flous sont ceux d’une vieille photographie.
Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,
Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l’encombre,
Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.

Jacques Réda se proposait de créer l’UPTV : l’Union pour la préservation des terrains vagues. Une confrérie sans statuts ni cotisations, qui défendrait le vide nécessaire à la flânerie. Ne nous y trompons pas : nous vivons encore à l’époque d’Haussmann, de la spéculation et des expropriations. Et de la ville rendue inhumaine. 

Amen © Éditions Gallimard, 1968

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