Le 30 juin 1988 paraît dans la revue britannique Nature un article au titre obscur (« Dégranulation des basophiles humains induite par de très hautes dilutions d’un antisérum anti-IGE »), cosigné par treize chercheurs. Les travaux ont été conduits par le Dr Jacques Benveniste, qui dirige l’unité 200 de l’Inserm à Clamart (Hauts-de-Seine), spécialisée dans l’immuno-pharmacologie de l’allergie et de l’inflammation. Trois autres laboratoires, situés à Rehovot (Israël), à Milan et à Toronto, ont participé aux expériences et confirment l’extraordinaire conclusion : une cellule sanguine (basophile) est activée par une simple solution aqueuse contenant un anticorps dilué à l’infini. Autrement dit, l’eau peut transmettre une information biologique spécifique et produire un effet moléculaire en l’absence de molécule. « Tout se passe, observe Benveniste, comme si l’eau se souvenait d’avoir vu la molécule. » La presse retient une image : la mémoire de l’eau.

Fini l’obscure « dégranulation des basophiles ». Le plus universel des liquides serait doté d’une conscience portée par des ondes électromagnétiques. La « mémoire de l’eau » est d’abord un coup d’épée dans la science officielle, celle qui domine, celle qui a raison, qui a « ses » raisons : une chaîne ininterrompue de cerveaux ayant depuis des siècles consolidé l’édifice de la biologie moléculaire. L’enjeu est de taille : si Benveniste a raison, c’est un pan entier de l’industrie du médicament qui est menacé. Pourquoi acheter de coûteuses molécules si les hautes dilutions permettent de soigner le mal en l’absence de la moindre trace moléculaire, comme le clame l’homéopathie ? Lorsque Nature se résout à publier le texte du chercheur français, son rédacteur en chef John Maddox l’accompagne d’une réserve éditoriale présentée sous le titre « Quand croire à l’incroyable ». À ses yeux, une telle fissure dans le noyau des connaissances suppose de « se demander avec plus de soin qu’à l’accoutumée si l’observation n’est pas incorrecte ». 

L’affaire sort du champ scientifique. « La procédure s’apparente à celle qui ferait agiter dans la Seine, au Pont-Neuf, la clé d’une automobile, puis recueillir au Havre quelques gouttes d’eau pour faire démarrer la même auto », écrit Benveniste dans Le Monde du 30 juin 1988. Ceux qui n’y croient pas, confiera-t-il plus tard, pensent que quand ils glissent un CD d’opéra dans leur lecteur, Pavarotti est à l’intérieur ! Les réactions sont violentes, à la mesure ou plutôt à la démesure des bouleversements annoncés par ce biologiste reconnu, médaille d’argent du CNRS et longtemps nobélisable. Si certains crient au génie, d’autres, et précisément les Prix Nobel François Jacob et Georges Charpak, dénoncent l’imposture, la fraude consciente ou inconsciente. Les moins sévères parlent d’artefact, d’une illusion née de l’expérience elle-même. 

La réalité est que Benveniste ne réussira jamais à reproduire ses résultats à l’identique. Maddox viendra enquêter dans son laboratoire pour prouver qu’il a menti, accompagné d’un magicien dont la présence ne peut que l’humilier. Benveniste meurt en 2004, lâché et renié par la communauté scientifique. Quant à la sulfureuse mémoire de l’eau, elle est tombée dans l’oubli, malgré les propos – aussitôt réfutés par ses pairs – du Prix Nobel Luc Montagnier affirmant en 2014, sur la base de recherches sur le plasma sanguin de patients infectés par le VIH, que Benveniste avait raison. 

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