Le comble pour les inventeurs de la démocratie serait de ne plus croire en son fonctionnement. C’est pourtant ce qui est en train d’arriver aux Grecs. Ils sont, d’après une récente étude du Parlement européen, 64 % à se déclarer insatisfaits par rapport aux processus démocratiques au sein de l’Union européenne (UE), le plus haut total parmi les vingt-huit. Et honnêtement, ça se comprend.

La dernière fois que les Grecs ont été appelés à se prononcer sur une question européenne, c’était en juillet 2015. En pleine « crise grecque », la formation de gauche Syriza s’est fait élire six mois plus tôt sur un programme censé sortir le pays du carcan imposé par ses créanciers : la Commission européenne, la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international.

Entre le gouvernement d’Alexis Tsipras et cette troïka, les négociations quant à un nouveau plan d’aide peinent à aboutir et le peuple grec est invité à trancher. Autour de moi, c’est l’euphorie. Les télés sans cesse allumées, les débats enflammés, les places bondées. Les Grecs vont reprendre leur destin en main. Face aux « diktats de Bruxelles », ils vont redevenir souverains. C’est ce qu’ils pensent.

À une large majorité (61 %), ils s’opposent aux réformes demandées en échange d’un nouveau prêt de leurs créanciers. Mais si le « non » l’emporte, il est transformé quelques semaines plus tard en un « oui » par le gouvernement grec et les instances européennes. Le résultat du scrutin ne pèse pas dans les négociations et le Premier ministre grec finit par accepter d’imposer les mesures d’austérité réclamées par la troïka.

Les Grecs se sentent trahis. Humiliés. L’espoir né de ce référendum s’envole, en même temps que leur foi en la démocratie. Difficile de les convaincre que leur voix compte à Bruxelles. 

Pour beaucoup de gens autour de moi, l’UE a incarné ces dernières années une puissance étrangère imposant sa volonté, au détriment des habitants. Une image qui ravive l’histoire d’un pays jamais vraiment souverain, dominé par l’Empire ottoman pendant plus de quatre cents ans, avant d’être dirigé par un monarque allemand, puis par une dynastie danoise durant près d’un siècle.

À Athènes comme sur les îles, j’ai souvent entendu dire que cette Europe, si prompte à sanctionner, n’attachait pas la même importance à montrer sa solidarité, que l’UE avait abandonné la Grèce face à la crise des réfugiés. Depuis 2015, le pays a vu passer des centaines de milliers de personnes fuyant la guerre et la misère. Et la fermeture des frontières a laissé la Grèce livrée à elle-même, dans un espace européen pourtant créé pour faciliter la mobilité des individus.

Mais le désamour des derniers temps n’a pas toujours prévalu et l’Europe a souvent représenté un horizon empli d’espoir. Aucune de nos familles n’est restée en dehors des migrations vers l’Europe, en Allemagne, en France ou au Luxembourg, pour travailler, fuir la dictature ou étudier. Et c’est de nouveau le cas aujourd’hui : pour saisir de nouvelles opportunités ou fuir la crise, les jeunes partent pour la Belgique ou la Lituanie, le Royaume-Uni ou la Bulgarie. 

Mais il s’agit de ne pas confondre l’Europe et l’Union européenne, l’histoire commune et le projet politique. Il s’agit, aussi, de comprendre un sentiment ambivalent au sein d’une société autant tournée vers l’Europe que vers l’Orient. Un pays entouré par la mer, coincé entre plusieurs ensembles qui mettent à mal son identité. Européens ? Orientaux ? Balkaniques ? Personne ne sait vraiment me répondre.

Malgré une modernisation à marche forcée, dont l’organisation des Jeux olympiques en 2004 devait être le point d’orgue, la Grèce semble figée dans le temps, en permanence renvoyée à sa gloire d’antan. Comme si ce pays était incapable de se définir autrement que par l’Acropole et les Cyclades, qu’il lui était impossible de révéler une autre facette que l’attraction historique ou touristique.

J’ai le sentiment que cette difficulté à se définir crée un malaise, une sorte de complexe favorable au repli sur soi dans un pays structuré depuis longtemps autour de la famille et de l’Église.

En janvier dernier, un conflit diplomatique – et symbolique – vieux de vingt-cinq ans autour du nom de la « République de Macédoine du Nord » a été résolu, de nouveau dans la frustration pour les Grecs. Un puissant courant nationaliste s’opposait en effet à l’utilisation du nom « Macédoine », qui désigne également une région du nord de la Grèce. Des centaines de milliers d’habitants ont manifesté contre ce qu’ils considèrent comme une spoliation de leur histoire et de leur identité. Une fois de plus, le soutien apporté par plusieurs chefs d’État européens à ce changement de nom a été considéré comme une forme d’ingérence.

Dimanche 26 mai, les électeurs grecs se rendront aux urnes pour élire leurs représentants municipaux et régionaux. Une concordance de date avec les élections européennes qui pourrait représenter le meilleur moyen de les faire participer à ce scrutin, même sans conviction. 

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