Décembre 1959. Romain Gary, 45 ans, est consul général de France à Los Angeles. Avec son épouse, Lesley Blanch, il reçoit à dîner un jeune couple dont les âges additionnés sont équivalents au sien : lui, François Moreuil, est avocat et cinéaste à ses heures ; elle, Jean Seberg, actrice déjà célèbre, vient de tourner À bout de souffle sous la direction de Godard. Elle est sublime dans une robe bleu nuit de Givenchy. 

Avant de passer à table, Gary demande à son invité : « Vos mocassins sont superbes. Vous permettez que je les essaye ? » Moreuil, stupéfait, se déchausse. Les archives sont muettes sur les minutes qui suivent. M. le consul général est-il à l’aise dans ces godasses souples et sans attache ? Fait-il quelques pas dans le salon pour s’en assurer, comme un client sur le point d’acheter ? Lance-t-il un regard de braise à la somptueuse Jean Seberg en se disant qu’il a trouvé chaussure à son pied ? 

Et François Moreuil dans tout ça ? Face à un quasi-ambassadeur, héros de la Résistance, Prix Goncourt pour Les Racines du ciel – une si grande pointure ! –, on l’imagine dans ses petits souliers. Peu de temps après cet étrange dîner, devant s’absenter de Los Angeles, l’avocat-cinéaste confie naïvement sa belle épouse à l’écrivain-diplomate. Il apprendra bientôt qu’elle le quitte pour vivre avec l’homme qui lui a emprunté ses mocassins. 

« La provocation est ma forme de légitime défense préférée », écrit Romain Gary dans Chien blanc. Sa tumultueuse liaison avec Jean Seberg se conclura tragiquement deux décennies plus tard. On ne se souviendra même plus alors que ce drame amoureux avait commencé par un audacieux pied de nez aux pompes diplomatiques. 

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