On qualifie les énarques de tribu, de caste, de clan, de réseau, voire de mafia, alors qu’ils se définissent eux-mêmes comme « une grande famille ». Il y a en tout cas chez eux un air incontestable de famille, même si tous ne sont pas fils d’archevêque : l’École nationale d’administration ne favorise-t-elle pas « l’unité de langage, de méthode et d’esprit » jugée nécessaire « dans la conduite des affaires publiques à une époque où toutes les questions à régler dans les sociétés complexes sont interministérielles » ? Le style énarquien repose avant tout sur un sabir commun.

Chaque année, avant le début de leur scolarité, les élèves désignent par un vote le nom de leur promotion. Le 15 février, à l’issue d’un débat de huit heures, la nouvelle fournée d’énarques a choisi « Molière ». Au premier tour, des audacieux avaient proposé Kylian Mbappé, l’attaquant du PSG, preuve que la crème de la crème sait aussi prendre un bol d’air. L’année dernière, le nom de Johnny Hallyday avait été prononcé, mais c’est celui de Clemenceau qui a été adopté. Un mélange de sagesse et de conformisme finit toujours par l’emporter.

Le nom choisi doit faire « honneur aux énarques et à l’État ». Mais ce n’est pas forcément celui d’une personnalité. La promotion 2005 s’était baptisée « République », et celle de 1996 « Valmy ». Cette année, en finale, Molière a été opposé à Hannah Arendt, mais aussi à « Urgence climatique ». Plus politiquement correct, on ne fait pas… N’oublions pas que l’école des élites, cette pépinière de chefs, donne accès aux grands corps de l’État. Lesquels n’ont rien à voir avec les corps de métier. Il ne faut pas confondre bâtiment et monuments. 

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