Depuis la grande crise financière de 2008, les privatisations étaient sorties de notre champ de vision. Mais les Gilets jaunes les ont replacées sur le devant de la scène en carbonisant quelques péages autoroutiers. Quinze ans après la cession de nos autoroutes nationales à des entreprises privées, ces ventes passent toujours aussi mal. La fronde d’une partie des élus franciliens contre la future privatisation des trois aéroports de l’agglomération parisienne – Roissy, Orly, Le Bourget – vient en donner une -nouvelle illustration.

Cette hostilité récurrente mérite que l’on tente d’en comprendre les raisons. Tout d’abord, les autoroutes et les aéroports sont parmi les infrastructures les plus visibles de notre pays. Ils font partie du paysage, à tous les sens du terme. Bref, on les associe spontanément au patrimoine national, ce qui semble exclure leur transfert à des fonds privés. Mais surtout, ces biens publics constituent le bras armé de la mobilité – ce nouveau credo de la modernité –, devenue une préoccupation centrale des Français au quotien. Comment envisager de les céder ? Sur cette question stratégique des transports, la pédagogie apparaît inopérante. Toute invitation à la privatisation ressemble à une garantie de perte de souveraineté. La réalité est pourtant plus complexe, comme l’explique le géographe et urbaniste Jacques Lévy dans notre grand entretien. La qualité du service rendu, ce fameux service public, tiendrait davantage au cahier des charges négocié entre l’État et le concessionnaire qu’à la propriété du capital.

Contrairement à une idée reçue, cette perception est loin d’être massivement rejetée, nous explique le politologue Jérôme Fourquet, spécialiste des sondages. Les privatisations ne provoquent pas en France une phobie générale. Et les motifs de ces points de vue plus nuancés qu’on ne le croit généralement ne sont pas seulement affaire de convictions intimes ou d’idéologies. Patrick Le Galès, politiste et sociologue, montre à quel point le désengagement de l’État est mouvant. Alors que l’on imagine une dissolution de la souveraineté, cette dernière se réinvente et se reconstruit par d’autres voies. Tant et si bien que la France est en fin de compte moins libérale sur le plan économique qu’on ne le pense. 

L’État contrôle toujours directement 89 sociétés et indirectement 1 632. Il emploie 795 000 salariés dans ces entreprises (La Poste, SNCF, EDF, Orange, etc.), sans compter la fonction publique. Au total, le poids de l’État représente encore 56,5 % du produit intérieur brut (PIB), contre 48,5 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. C’est une surprise. Il faut la regarder en face en cessant de psalmodier le contraire. 

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