D’abord, elle serait tombée toute seule. Puis elle aurait été poussée par un caméraman. Avant que le procureur de Nice ne reconnaisse finalement l’implication d’un policier. Le psychodrame national autour de la chute d’une militante d’Attac de 73 ans, blessée lors d’une manifestation de Gilets jaunes, traduit le climat lourd qui pèse sur la France actuelle. L’incendie du Fouquet’s et le pillage de dizaines de boutiques sur les Champs-Élysées le 16 mars dernier sont passés par là, et avec eux le fantôme des journées de décembre et leur parfum d’insurrection. À l’heure où chacun se rejette la responsabilité de la situation, il nous a paru nécessaire de consacrer un numéro entier du 1 à ces violences dont on ne semble pas voir la fin.

Car le pays est aujourd’hui pris dans un étau entre deux fléaux. Le premier, c’est l’excès d’ordre. Quelques mois après avoir intégré dans la loi des dispositions de l’État d’urgence, le Parlement a adopté en février un texte dit « anti-casseurs », qui prévoit notamment des interdictions individuelles de manifester. Depuis novembre dernier, plus de neuf mille personnes ont été placées en garde à vue, près de deux mille ont été condamnées par la justice. Sur le plan médical, le bilan du mouvement est aussi alarmant, avec plus de deux mille blessés, dont une centaine de blessures graves, notamment dues à l’usage de grenades de désencerclement ou à des tirs de lanceurs de balle de défense (LBD). Près de trois cents plaintes ont déjà été déposées à l’encontre des forces de l’ordre pour violences policières. Mais la France, épinglée par une commission de l’ONU et le Conseil de l’Europe, n’a pas pour autant suspendu l’usage de ces armes dites « intermédiaires », capables d’infliger des mutilations profondes. 

Le second fléau auquel nous sommes confrontés, c’est l’excès de désordre. Il ne s’agit pas de mettre tous les Gilets jaunes dans le même panier : l’immense majorité d’entre eux n’ont rien de factieux décidés à renverser la République. Toutefois, la présence au sein des cortèges de centaines, voire de milliers d’individus décidés à exprimer violemment leur haine de la société et des institutions ne peut être vue comme anecdotique. Qu’ils soient Black Blocs, anarchistes ou simple pillards opportunistes, ces groupes sont à l’origine de destructions massives et, dans le cas des radars routiers, dangereuses. Surtout, ils apparaissent comme les symptômes les plus inquiétants d’une société en crise, dont on constate chaque jour l’ensauvagement des mots et des actes. L’Élysée pensait peut-être éteindre l’incendie avec l’organisation du grand débat. Il faudra désormais des réponses politiques pour rétablir, mieux que l’ordre, la paix civile.  

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