La situation de la France est préoccupante : elle glisse dans la stagnation de longue durée. La croissance y a été nulle au premier semestre 2014, en -dépit d’une résistance de la consommation des ménages. Les erreurs de diagnostic sont structurelles. L’affaiblissement de la compétitivité de nos entreprises est imputé au coût du travail. Or, si on considère une mesure longue de l’évolution de la compétitivité-coût (1995-2012), l’Allemagne est à part. Le coût salarial unitaire y a baissé de 30 %. Il est resté stable en France et aux États-Unis, a augmenté en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. La France n’a donc perdu que par rapport à l’Allemagne. 

En revanche, tout au long des -années 2000, l’industrie française a pris un retard inquiétant de compétitivité par défaut massif d’investissements innovants des entreprises : effort insuffisant de R&D (recherche et développement), retard persistant dans la robotisation des processus productifs, abandon du territoire national. À cela s’ajoutent un climat social délétère et une gouvernance d’entreprise sous l’emprise de la finance. Seul un changement profond des mentalités quant aux conceptions de la croissance inversera la tendance au renoncement. Il faut aussi une politique industrielle de toute l’Europe orientée vers le développement durable.

L’enjeu est d’enclencher rien moins qu’une nouvelle révolution industrielle en redéployant les investissements vers les infrastructures d’énergie bas carbone, les bâtiments à haute qualité environnementale, l’efficacité énergétique, la valorisation du capital naturel et humain, le recyclage des déchets, l’adaptation aux changements climatiques et l’agroécologie. Les volumes d’investissements se chiffrent à plusieurs centaines de milliards d’euros par an en -Europe pour installer des infrastructures énergétiques qui n’émettront quasiment plus de CO2 d’ici 2050. En France, la seule rénovation thermique des bâtiments nécessiterait des dépenses de 10 milliards d’euros par an. 

Mais la transformation de la structure des investissements ne s’effectue pas spontanément. L’intervention des autorités publiques doit intégrer la valeur des services environnementaux dans la définition de la richesse. Des actifs environnementaux pourraient servir de contrepartie à l’émission de monnaie et de produits financiers innovants. 

Nous proposons que l’Europe se dote d’un plan stratégique de la mutation écologique qui aurait à sa disposition deux instruments à fort effet de levier sur les capitaux privés : 

1. Une politique monétaire qui autoriserait la BCE à ouvrir des lignes de crédit fléchées vers les projets de la mutation écologique. La contrepartie de la création monétaire induite est la valeur d’un actif environnemental définie par une convention politique, de la même façon que l’or sous le régime de Bretton Woods. 

2. Un fonds d’investissement européen capable d’attirer l’épargne « oisive » en quête de grandes causes à financer vers les investissements de long terme jugés désirables. Ce nouveau « véhicule » s’appuierait sur des produits financiers innovants, de type obligations vertes, gagés sur la valeur sociale des actifs environnementaux générés par les investissements.

À court terme, une politique européenne climatique ambitieuse, guidée par un accord politique sur une valeur sociale du carbone (soit la richesse sociale créée par chaque émission de CO2 évitée), permettrait de tester la robustesse et l’effectivité de tels mécanismes appliqués à un actif carbone. 

Au croisement de défis technologique, financier, monétaire et politique, la mutation écologique offre l’attrait d’une nouvelle frontière mobilisatrice. Elle confie à l’échelon politique européen un mandat de refonte du modèle de croissance destiné à produire un peu moins des biens privés qui ont fait la richesse du passé et beaucoup plus de biens publics (environnementaux) qui feront la richesse du futur.  

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