Sa peau dure et sans souplesse, comme une cicatrice, sa chair brouillée, lâche, grenue, poudreuse, nulle,
cette tomate que je mange – enfourne, bâfre : j’ai si faim ! – est horrible et exquise.
Oh, je la connais, cette frimeuse travestie ; je sais qu’on l’a cueillie verte, pas mûre,
puis mise en chambre et passée au gaz pour l’empêcher de pourrir jusqu’à ce que je l’achète, mais je m’en fiche :
Avant je crevais de faim, je suçais la sueur sous mon aisselle et maintenant ma tomate luit en moi.
Je fais gicler le jus entre mes dents, les graines contre mon palais, et la croûte écailleuse,
là où le fruit uni à la tige innocente a été arraché, je la garde sur ma langue et la savoure,
pièce, point, fin de phrase, terme de la longue, improbable expression du sacré et de l’humain.

Manger, c’est transformer un aliment en parties de soi. En de longs vers sinueux, l’Américain C.K. Williams raconte cette expérience banale, et vénérable. Au plus proche de la dignité du fruit et de nos sensations. C’est à un estomac que l’esprit ressemble le plus, expliquait Nietzsche. Mais comment pense un cerveau nourri par Monsanto ? 

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