J’ai rencontré Merritt Tierce, pour la première fois, dans une résidence d’écriture, un répit qu’elle s’était octroyée dans une vie de combat. Elle avait démissionné du restaurant pour lequel elle avait travaillé une dizaine d’années, était employée à la poste locale de Denton (Texas), la petite ville où elle habitait, elle parcourait à vélo des dizaines de kilomètres chaque jour pour distribuer le courrier, espérant trouver le courage de se remettre à l’écriture. Mère de famille dès l’adolescence, serveuse, auteure d’un premier roman autobiographique très remarqué, Love me Back, où elle racontait comment une jeune femme élevée dans un milieu croyant opposé à l’avortement, se retrouve enceinte à force de trop fréquenter un groupe de prière, Merritt était devenue militante pour le droit à l’avortement dans un des États les plus conservateurs sur le sujet des droits des femmes. Dans cette résidence, elle était si pressée, enragée même, qu’elle écrivait pendant les repas ou dans la voiture, son ordinateur sur les genoux.

Quelques mois après, Jenji Kohan, la showrunner d’Orange Is the New Black, lui a proposé de rejoindre sa writers’ room, la « salle des auteurs », à Los Angeles. Merritt Tierce est passée d’un monde à l’autre, de la poste d’une petite ville du Texas à un des emplois les plus en vue de Hollywood, la writers’ room d’une série récompensée par de nombreux Emmy Awards, socialement et politiquement très engagée avec son décor de prison pour femmes. 

Merritt décrit son nouveau travail, son arrivée à Los Angeles, où elle a débarqué il y a un an avec sa fille cadette, avec simplicité. C’est d’abord un emploi avec ses méthodes, ses règles, son lieu. « La writer’s room est une pièce de conférence, dont les grandes fenêtres donnent sur une école primaire. On entend les cris des enfants. Les murs sont recouverts d’une peinture blanche, on y inscrit au feutre effaçable les idées qui structurent chacun des épisodes. » Face aux auteurs, un écran géant afin qu’ils puissent regarder des extraits de documents ou de films qui nourrissent leur travail, et où est aussi projeté le scénario, au fur et à mesure qu’il s’écrit. Une saison de treize épisodes, c’est être huit mois enfermée, pendant lesquels Merritt s’oblige chaque jour à lire, à regarder, à écouter tout ce qu’elle peut trouver comme documentation, afin d’être le plus juste possible. Par exemple : « combien il est difficile de se procurer des tampons et des serviettes hygiéniques », précise-t-elle. Ensuite, il faut travailler.

« Imaginez un dîner d’une dizaine de personnes, dont neuf sont des femmes, on grignote, et on parle de ce qui est pour moi, résume-t-elle avec joie, un des meilleurs sujets de conversation qui soient. On parle des gens. Pourquoi agissent-ils comme ils agissent ? Quelle est leur histoire ? Leur origine ? Leurs désirs ? Leur trajectoire ? » Ce n’est pas une série classique dans sa construction, explique aussi Merritt, dans le sens où elle ne respecte pas le principe des arches narratives qui se croisent sur plusieurs épisodes. Ce qui compte ici, c’est la vie des personnages, leur logique interne, et la façon dont ils se heurtent à ce qui se passe dans une prison. 

Les auteurs sont présents sur tout le processus, dès le casting, le choix des décors, le tournage, le montage, et ils peuvent apporter à tout moment un point de vue. « Dans un épisode de la 5e saison qui raconte la visite d’un gynécologue, j’ai proposé qu’on filme en gros plan un spéculum, qu’on entende bien le bruit du métal de cet instrument à l’allure médiévale. Le cling que l’on entend, c’est moi. »

Merritt Tierce est aussi un écrivain qui a une ambition littéraire, obsédé par « les mots, la poétique du langage ». Peut-elle satisfaire cette obsession dans la writers’ room ? « Je peux travailler ici sur la langue, le vocabulaire des personnages, la façon dont ils parlent. Mon modèle, c’est l’autofiction, ma nouvelle passion littéraire est française, c’est Annie Ernaux. Et il y a de nombreux liens entre ce que décrit Annie Ernaux et les personnages d’Orange Is the New Black… » L’écriture de séries serait une nouvelle forme littéraire, dans laquelle, nous les auteurs, nous pourrions aller, sans risque de nous perdre à tout jamais ? Elle se dit tiraillée entre le désir et la peur de retrouver la liberté dont elle dispose dans le roman, la solitude, l’absence d’argent, et le confort de la collectivité, d’un salaire à la fin du mois, l’excitation de participer à une fiction louée, regardée, admirée dans de nombreux pays. C’est tentant, oui, mais non. 

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