On appelle « niches fiscales » des dérogations prévues par la législation donnant la possibilité à un contribuable de réduire le montant de ses impôts sous certaines conditions. Il peut s’agir d’une réduction de la base taxable (exonération, abattement, déduction), du barème de l’impôt (taux réduit) ou directement du montant d’impôt dû (réduction ou crédit d’impôt). Tous les types de prélèvements obligatoires, qu’ils soient payés par les ménages ou les entreprises, sont concernés. Pour le dire autrement, tout dispositif venant réduire le montant d’impôt calculé par l’application du barème général constitue une niche fiscale.

Pesant 72 milliards d’euros en 2012 (27 % des recettes fiscales), le montant des dépenses associées aux niches fiscales a grimpé à 98 milliards d’euros en 2019 (35 % des recettes fiscales), principalement en raison de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Bien que régulièrement pointées du doigt, les niches fiscales se portent bien. Comment l’expliquer ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir sur les logiques qui ont présidé à la création et à la multiplication de ces niches. La plupart d’entre elles répondent à un objectif économique : elles visent à influencer les comportements par un mécanisme d’incitation. On peut citer le CICE (19,6 milliards d’euros) ou le crédit d’impôt recherche (6,2 milliards) qui ont pour but de stimuler l’emploi et la recherche dans les entreprises. Pour les ménages, le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile (4,8 milliards) incite aussi bien à l’embauche de salariés qu’à la déclaration de relations salariales existantes. Encourager l’emploi déclaré permet en outre à l’État de récolter des cotisations sur les salaires versés et aux salariés de bénéficier d’une protection sociale accrue. D’autres niches ont pour objectif de favoriser les dons (1,5 milliard) ou encore l’investissement dans l’économie française afin de le flécher vers des secteurs stratégiques ou en manque de financement, à l’image de la réduction d’impôt en faveur de l’investissement locatif (0,7 milliard). 

À l’exception des crédits d’impôt, qui peuvent donner lieu à des transferts de l’État vers les contribuables si la réduction est supérieure à l’impôt calculé, l’ensemble de ces dispositifs bénéficient principalement aux plus riches. Ils participent néanmoins au financement de l’économie et peuvent donc s’avérer désirables s’ils sont correctement ciblés. Mais est-ce vraiment le cas ? Les récentes évaluations du CICE ou du crédit d’impôt recherche estiment par exemple que ces dispositifs ont un impact bien plus important sur les marges des entreprises que sur l’emploi ou la recherche. Alors, pourquoi une telle multiplication des niches fiscales ?

Un début d’explication tient au fait que ces motifs économiques masquent souvent des logiques politiques. Dans un rapport de 2017, la Cour des comptes a noté par exemple que, parmi les 94 niches fiscales relatives au développement durable, « le montant de celles qui ont un impact réellement favorable au développement durable avait tendance à baisser (5 milliards en 2015 contre 6,9 en 2010), tandis que celles dont l’impact est défavorable à l’environnement étaient croissantes et dépassaient largement les premières (6,9 milliards en 2015 contre 6 en 2010) ». Avant de conclure : « 17 dépenses fiscales ont ainsi un objectif de soutien à certains secteurs économiques plutôt que de lutte contre les externalités négatives ». Pour ces niches, l’écologie ne semble être qu’un prétexte pour bénéficier de mesures fiscales qui ont en réalité un impact néfaste sur l’environnement.

Ces niches fiscales très politiques résultent généralement de pressions exercées par des groupes d’influences ou « lobbys ». Les plus importantes concernent sans doute le taux de TVA réduit accordé au secteur du bâtiment pour les travaux (5,6 milliards) ou le taux de TVA réduit accordé au secteur de la restauration (2,9 milliards). Au moment de la réduction du taux de TVA de 19,6 % à 5,5 % en 2009, les restaurateurs s’étaient engagés à répercuter cette baisse sur les prix et l’emploi. Une étude récente menée par les économistes Youssef Benzarti et Dorian Carloni montre que ce n’est pas ce qui s’est produit, les restaurateurs ayant empoché 56 % de la manne financière tout en favorisant l’augmentation des salaires de leurs employés ainsi que le paiement de leurs fournisseurs. En revanche, les augmentations du taux réduit de TVA dans la restauration de 2012 (5,5 % à 7 %) puis de 2014 (7 % à 10 %) ont principalement été répercutées sur les prix.

Cet exemple illustre à merveille les « effets d’aubaine » associés aux niches fiscales et la façon dont des groupes ou corporations peuvent user de leur poids politique pour s’assurer une rente fiscale. Il existe ainsi des niches fiscales pour les journalistes, les taxis, les marins pêcheurs ou encore… les députés. Et si elles ont pu être motivées à l’origine par des conditions économiques particulières, leur maintien répond souvent à une logique électorale. En effet, la suppression d’un avantage accordé à une profession a un coût politique important alors que son maintien n’entraîne que de faibles dépenses. Cette logique explique la pérennité d’un grand nombre de niches ayant un faible nombre de bénéficiaires, ce qui contribue à l’opacité et à la complexité du système fiscal : parmi les 473 niches fiscales recensées dans le projet de loi de Finances 2019, 10 représentent 50 % du budget engagé.

La niche fiscale politique la plus emblématique est probablement celle associée au financement des partis politiques. Amplement analysée par Julia Cagé dans Le Prix de la démocratie (Fayard, 2018), cette réduction d’impôt participait au financement des partis politiques à hauteur de 48 millions d’euros en 2016. Cependant ses modalités avantagent fondamentalement les plus riches par rapport aux plus pauvres comme le montre la répartition de la dépense fiscale en fonction des revenus du foyer. En effet, pour les 80 % des foyers les moins riches, le coût de ce dispositif est nul pour l’État, mais il représente l’équivalent de 2,2 euros par foyer fiscal pour les 10 % suivants (9e décile, soit la tranche qui précède celle s’appliquant aux personnes dont le niveau de vie est le plus élevé) et grimpe jusqu’à 400 euros pour les 0,01 % des foyers les plus riches. Il conduit ainsi mécaniquement à favoriser les préférences politiques des plus riches au sein des partis politiques et in fine dans l’action de l’État, ce qui contribue sans doute au maintien de ces niches fiscales.

Si l’efficacité économique des niches fiscales peut ainsi être questionnée, c’est que les logiques politiques semblent prédominantes. Le pouvoir redistributif de l’impôt a ainsi particulièrement été affecté par la multiplication de niches qui bénéficient principalement aux foyers les plus riches. En outre, par rapport à des subventions, l’opacité de ces dispositifs permet d’en minimiser la visibilité. Il suffit pour s’en convaincre de prendre la dernière niche fiscale à avoir été créée, dans une relative discrétion : la possibilité de déduire jusqu’à 1 500 euros pour l’hébergement d’un migrant en situation régulière. Imaginez la polémique si l’État avait mis en place une subvention ! 

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