Sommes-nous désinformés ? La question fait le bruit d’une pierre dans le jardin changé en jungle des journalistes. Eux, dont le métier est de trier l’information, de la valider en la vérifiant et de la hiérarchiser, vivent un temps de confusion, de perte de repères, de défaite des faits. Les faits, parlons-en. La philosophe Hannah Arendt (1906-1975) nous avait alertés en son temps sur leur fragilité, en particulier dans les régimes dictatoriaux. Cette fragilité a désormais gagné nos démocraties, secouées par une crise aiguë, peut-être sans précédent, de la représentation. Sachant, comme le souligne la politiste Géraldine Muhlmann, que les journalistes détiennent un mandat implicite de représentation du public-citoyen. Et c’est bien là que le bât blesse. La perte de confiance qui frappe l’information et ceux qui la diffusent ouvre la voie au grand n’importe quoi, à ce que Guy Debord (1931-1994) appelait « la société inversée », où le vrai ne serait plus qu’un moment du faux. Crise du message, car crise du messager. Fin de la hiérarchie des informations. Place aussi, trop souvent, à l’insignifiance, au rien qui remplit le vide.

Avec l’irruption d’Internet puis des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, on a vu émerger de nouveaux concepts packagés dans des mots-valises : la mal-info ou l’infobésité, autant de termes désignant ce trop-plein de soi-disant informations reprises en boucle par le grand perroquet médiatique. Dans ce bruit et cette vitesse s’est glissé un nouvel intrus : la fausse info – les fameuses fake news, dont l’origine anglo-saxonne marque le changement d’échelle, en comparaison de la bonne vieille rumeur. Nous voici face à une entreprise industrielle de désinformation, dont la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et celle de Trump dans la course à la Maison Blanche ont montré la puissance. Du mensonge à la manipulation, il n’y a qu’un pas. Sachant que, comme dans le tango, il faut être deux, celui qui dupe et celui qui accepte d’être dupé. Les fameuses fake news prospéreraient-elles autant si leurs destinataires n’étaient pas enclins à croire même l’incroyable. Les plateformes manipulent-elles une opinion crédule ? L’affaire Cambridge Analytica (cette société qui, dans le cadre de la campagne de Trump, a siphonné les données de 50 millions de comptes à l’insu de leurs titulaires) ou les thèses complotistes complaisamment relayées par les Gilets jaunes sur Facebook mettent au moins à jour cette fabrique du mensonge à grande échelle. 

En choisissant ce sujet grave pour terminer l’année, nous avons voulu vous dire, chères lectrices, chers lecteurs, combien nous sommes attachés à ce que notre partenaire Reporters sans frontières appelle avec force l’information fiable. Ici comme ailleurs –la carte de la liberté de la presse dans le monde réalisée avec RSF se passe de commentaire –, informer, c’est lutter, résister, combattre. Sans préjugés ni partis pris. Sans répit non plus. Il en va de la paix sociale et, sans aucun doute, de la paix du monde. 

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