Je suis un enfant des lycées français de l’étranger. Attention, pas des prestigieux établissements de New York ni de Londres, mais plutôt des lycées français « de province ». Le lycée français d’Irlande, à Dublin, où j’ai fait ma seconde, et le lycée français d’Alicante, en Espagne, où j’ai passé le reste de ma scolarité.

« Quelle chance ! Ce doit être une expérience extra­ordinaire ! » Ça l’a été, en effet. Mais pas dans le sens où on l’entend généralement. Car à 15 ans on ne se rend pas compte du « cadre de vie serein et épanouissant allié à une scolarité d’excellence » dans lequel on baigne (selon le mot du proviseur). On est simplement triste de laisser ses copains derrière soi et on va en cours, c’est tout.

Je suis donc allé en cours, en Irlande et en Espagne, dans ces bus à deux étages jaune et bleu, à l’abri de la pluie, et à vélo, sous la chaleur, par les routes cabossées d’El Campello, entre les troupeaux de moutons et les chantiers abandonnés. Les programmes étaient les mêmes qu’en France, le paysage seul changeait.

Et c’était là tout le jeu. Les lycées français, pour peu qu’ils soient de taille raisonnable, créent un sentiment de communauté extraordinaire, quand ce n’est pas du patriotisme. Jamais je n’aurais entonné La ­Marseillaise la nuit dans les rues de ma Nantes natale. À Dublin, c’était une coutume. Rendez-vous compte aussi, une classe par niveau au lycée français d’Irlande et la plupart des élèves en famille d’accueil irlandaise, c’est toute la classe qui devenait une famille. Au lycée français d’Alicante, composé à 75 % d’Espagnols, côté français on était soit sectaire, soit intégré.  

Trois ans ont donc passé ainsi. À l’étranger, ce qui s’ajoute à votre scolarité d’enfant de la République vient en filigrane, sans qu’on s’en aperçoive. De mes premiers jurons espagnols appris aux intercours, aux façons d’aborder un client dans un magasin sur Grafton Street, c’est probablement ma compréhension d’autrui que j’affinais. Par l’expérience, savoir reconnaître l’autre, semblable et différent, acquérir sur lui et sur moi-même une lucidité de point de vue, voilà ce que j’apprenais. 

Le savoir-vivre qu’impose l’expatriation est le complément indispensable d’une éducation uniquement basée sur la connaissance. Il faut sortir de soi pour passer du statut de barbare à celui de civilisé. S’acheter, comme ses camarades, un éventail et le sortir en cours pour combattre la chaleur. On vous appelle d’abord « Frenchy » puis « ­franchute » et de fil en aiguille, en plus du savoir, c’est une conscience de l’originalité française qui se réveille en vous, inséparable de ­l’intégration européenne. 

À McGill, université montréalaise où je suis ­aujourd’hui, les choses sont différentes. C’est une ­machine colossale, anglo-saxonne, qui cultive avec force l’Alma Mater, le patriotisme universitaire. 

À mon arrivée, il a fallu tout revoir. Je suis devenu le matricule 260450069, un parmi 38 000 étudiants. Quelle découverte que le sacro-saint campus, sa ­politique étudiante et ses clubs par centaines ! ­J’entrais dans une bulle singulière, une ville au sein de la ville, lieu de coopération et d’expérimentation entre étudiants. 

Car là-bas, le contenu change aussi avec la forme. Dans ce système où l’on vous note avec des pourcentages et des lettres, où l’on choisit soi-même ses cours, il faut être incisif dans la rédaction des travaux, souple dans la composition de son programme, développer enfin des compétences pour s’adapter. Et c’est peut-être là tout l’intérêt des études à l’étranger, la capacité d’adaptation. 

Bien entendu, dans cette bulle étudiante, des ­communautés naturelles se forment et se reconnaissent. Je fais partie du 20 % de francophones, étrangers sur le campus, chez eux dans la ville. Mon département, celui de langue et de littérature françaises, a quelque chose de l’abbaye de Thélème. Sa pédagogie hybride, à mi-chemin entre les États-Unis et la France, permet d’apprendre aussi bien à écrire qu’à faire de la recherche. Je me plais à dire que dans ces cours à petits effectifs, de 15 à 50 étudiants, les professeurs transmettent leur feu sacré. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !