Difficile de trouver un métier plus beau et plus important que celui d’enseignant – la joie pure, ancienne, de transmettre le savoir et la culture. Les systèmes scolaires les plus efficaces ne sont pas ceux où l’on encadre le plus les enseignants par des règles, mais ceux où ils se sentent les plus valorisés. Difficile, répondront nombre d’entre eux dans notre beau pays, de se sentir valorisé si l’on a la sensation d’être inécouté de ses élèves, agressé par leurs parents, sous-payé par rapport à son niveau d’études, sanctionné injustement (voire oublié !) par les inspecteurs, démotivé par la lenteur des promotions, infantilisé par un système de points inhumain, menacé de parachutage dans une ville lointaine, lâché par son proviseur, submergé de corrections, mal conseillé par les spécialistes de pédagogie, convié par son ministère à réaliser l’impossible, accusé par la société tout entière de fainéantisme… Ajoutez à cela la dévalorisation du baccalauréat, les horaires des sciences qui se sont étiolés jusqu’à l’os, et notre difficulté à reconnaître tout ce qu’il y a de beau et de noble dans l’apprentissage technique – c’est un panorama peu réjouissant qui se dessinera.

L’éducation s’affirme pourtant, ­aujourd’hui, comme une ­entreprise plus passionnante que ­jamais. D’abord parce que, à l’heure de l’« Erasmus pour tous », elle commence timidement à vraiment s’internationaliser en Europe. Avez-vous remarqué que les quatre derniers lauréats de la médaille Fields, désignés en grande pompe le 13 août, représentent ensemble une dizaine de pays différents ? Symbole idéal, s’il en était besoin, de l’enrichissement spectaculaire que peut apporter un parcours multiculturel, ou simplement le contact avec l’Autre. Cette chance, aujourd’hui réservée à une minorité, deviendra la règle demain, si nous le voulons, et pourra faire briller les yeux de nos enfants dès le collège.

Ensuite parce que les nouvelles opportunités pédagogiques sont enthousiasmantes. À aborder avec précaution, certes. Notre pays l’a appris plusieurs fois dans la douleur : en pédagogie, il n’est guère de règles simples. Il faut tester pour savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas ! Certains redoutent qu’un jour l’enseignant soit remplacé par un terminal informatique ; mais quiconque a travaillé à préparer un « MOOC », un cours ouvert en ligne, a pu constater la complexité de l’affaire et le rôle crucial que l’humain y joue. Les directions les plus prometteuses combinent technologie digitale et cours en face à face. C’est un moment parfait pour encourager les enseignants à réfléchir à leur méthode péda­gogique – en tenant compte des conseils de leurs collègues, de leur propre sensibilité, de leurs expériences personnelles, des recherches en la matière.

Enfin parce que l’enjeu de l’éducation se déplace avec cette même révolution numérique. La technologie digitale a un double visage comme toutes les technologies : elle a démultiplié nos possibilités et nos sources d’information, mais nous a aussi entraînés dans un monde d’incompréhension où les élèves semblent incapables de se concentrer plus de quelques minutes, inondés de messages et d’incitations au papillonnage. Un rôle majeur des enseignants sera de leur apprendre à se concentrer, à écouter, à trier les sources avec un œil critique, à acquérir des savoir-faire bien plus que des savoirs. Apprendre des théorèmes mathématiques, non pour utiliser plus tard leurs énoncés, mais pour acquérir des réflexes de rigueur et de logique, pour apprendre à penser abstraitement et à se triturer les méninges. Apprendre un langage de programmation, non pour s’en servir plus tard dans la vie active (il sera obsolète d’ici là !), mais pour apprendre ce qu’est un algorithme, comment bâtir une stratégie de résolution de problème et la traduire en instructions, comment expérimenter pour corriger ses fautes. Et mener à bien des projets difficiles, des projets collaboratifs, des projets techniques, des projets de longue haleine, pour se préparer à exercer des métiers qui n’existent pas encore…

Quant à l’enseignement mathématique, sujet passionnel s’il en est, il se retrouvera au centre de toutes les interrogations. Faut-il décrypter pour les élèves les dessous mathématiques modernes de notre monde, quitte à compléter le cours par une touche culturelle ? Profiter de nouvelles opportunités de jeux mathématiques ? Repenser la place du calcul mental ? Réaffirmer les exigences de rigueur du raisonnement ?

Renforcer le savoir-faire de l’art de la preuve ? Développer la formation d’enseignants à profil mixte math-info ou math-physique ? Tout cela à la fois, probablement. Parions que l’on gagnera à mieux interagir avec la recherche pédagogique mathématique française, l’une des meilleures du monde ; qu’il faudra plus de sérénité et des horaires plus généreux ; que l’on devra conjurer la sévère pénurie d’enseignants dans cette discipline, où les taux de vacance aux concours de recrutement atteignent jusqu’à 50 %. 

Une équation en apparence insoluble, qu’il faudra pourtant résoudre pour que nos enfants puissent relever les défis du futur, où les sciences mathématiques joueront un rôle grandissant, et où le sens critique sera de plus en plus précieux. 

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