Impossible de généraliser. D’établir un portrait simple de cette France des oubliés sans tomber dans le simplisme. Au risque de manquer une fois encore ce rendez-vous avec le réel dont bruissent la rue et les ronds-points de France, quand ce bruit ne devient pas cris, feu et sang. À qui a-t-on affaire ? Au peuple ou à la foule ? Ou à la foule se prenant pour le peuple ? Et quel est ce peuple que font enrager les inégalités, le mépris d’en haut, le sentiment qu’il n’y arrivera pas tandis que les plus riches se gobergent et passent entre les mailles de l’effort collectif ? Ce numéro du 1 est plus rempli de questions que de réponses, et on pense aussitôt au trait de Maurice Blanchot : « La réponse est le malheur de la question. » Par quelque bout qu’on l’attrape, le sujet est piégé. Trop d’approximations, de nihilisme, d’idéologie à la petite semaine, de démagogie bon marché et de mauvaise foi d’opposants politiques soufflant sur les braises – de Mélenchon-Ruffin à Le Pen – pour faire prospérer leurs boutiques. Trop de raideur d’un pouvoir « techno » qui, regardant le peuple comme un ennemi, n’a su – jusqu’à ces derniers jours ? – ni tendre la main, ni écouter, ni trouver les mots à bon escient. 

Ce que nous pouvons comprendre, c’est qu’on n’avait rien compris. 

Faute, qui sait, d’avoir voulu entendre. Les inégalités fiscales cachent les inégalités tout court. La fameuse « fracture sociale » qui fit de Chirac un président date de 1995. « Le politique ne répond plus au burn-out de la société française », écrivait l’ancien médiateur de la République Jean-Paul Delevoye – aujourd’hui monsieur retraites de Macron – en… 2010. « J’estime à 15 millions le nombre de personnes pour lesquelles les fins de mois se jouent à 50 ou 150 euros près », estimait-il. Relire son constat d’alors est aussi éclairant qu’accablant. « Les enjeux déterminants pour notre avenir ne trouvent pas de réponse politique à la hauteur », insistait-il, dénonçant des débats « minés par les discours de posture et les calculs électoraux ». Sa conclusion, « les ressorts citoyens sont usés par les comportements politiciens », résonne à présent cruellement. Face aux inégalités, face aux laissés-pour-compte de ce qu’Hervé Le Bras appelle « la France du vide », le pouvoir macronien qui s’est imposé en rupture avec les « politiciens » ne se comporte pas mieux qu’à l’époque du « vieux monde ». La politique est un art d’exécution. Il faut agir à temps. Pas à contretemps ni à contrecœur comme cela est si souvent apparu ces dernières semaines. 

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