Alors que les inégalités de revenu augmentent au sein d’un très grand nombre de pays, les systèmes sociaux et fiscaux nationaux jouent un rôle majeur dans la correction ou le maintien de ces inégalités. Cette hétérogénéité dans le degré d’engagement de l’État est mesurée par le ratio entre la somme des prélèvements obligatoires (la somme des recettes fiscales et sociales) et le PIB. La France appartient à un groupe de pays où le taux de prélèvements obligatoires est parmi les plus élevés, de l’ordre de 45 % du PIB, permettant à la population de bénéficier des services de l’État providence. À titre de comparaison, ce taux est d’environ 25 % aux États-Unis, comme le montre le graphique 1.

Composition des recettes fiscales

Ce niveau élevé de prélèvements obligatoires cache une grande disparité dans la composition des prélèvements. En effet, plus que le niveau de prélèvements obligatoires, c’est sa structure qui permet de caractériser un système fiscal et social. Le graphique 2 précise celle du système français depuis 1945 :

– Le système apparaît fortement tributaire des taxes indirectes (dont la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA, et les taxes sur l’énergie) qui constituaient 50 % des recettes en 1950. Mais ce poids a diminué du fait de l’augmentation des cotisations sociales. Les taxes indirectes ne représentent plus que 22 % des prélèvements obligatoires en 2016. 

– Les cotisations sociales (cotisations employées et employeurs, contributives et non contributives) constituaient 40 % des recettes en 2016. Cette importance est une particularité française : en 2015, elles s’élevaient déjà à 16,8 % du PIB alors que la moyenne de l’OCDE était de 9 %. 

– Enfin, le système d’imposition français se démarque également par son dualisme. Il s’appuie en particulier sur l’impôt progressif sur le revenu et sur la cotisation sociale généralisée (CSG), un impôt sur le revenu proportionnel. Dans le cas de l’impôt proportionnel, le taux de taxation est constant pour tous les niveaux de revenu alors qu’il est croissant dans le cas de l’impôt progressif. La composante proportionnelle du système est aujourd’hui bien plus importante que la composante progressive. La montée en puissance de la CSG a notamment été permise par la relative invisibilité de cet impôt, qui est directement prélevé à la source. Au contraire, l’impôt sur le revenu et les réformes de son barème cristallisent le débat politique et public, rendant les augmentations d’impôts bien plus difficiles à réaliser.

Un système qui contrecarre l’augmentation des inégalités

Le graphique 3 permet d’apprécier l’évolution des inégalités de revenu avant ou après impôt et transferts (pensions, allocations, prestations familiales et sociales…) et ainsi d’avoir une vision d’ensemble de la redistribution opérée par le système social et fiscal français durant les trente dernières années. Deux indicateurs d’inégalités sont reportés : la part du revenu total (avant ou après impôt) possédée par les 10 % des individus les plus riches (en rouge) et celle possédée par les 50 % les plus pauvres (en bleu).

– Avant impôt, les écarts ont augmenté, la part des revenus des 10 % des Français les plus riches passant de 30 % à 32 % entre 1990 et 2018, alors que celle des 50 % les plus modestes a diminué de 24 % à 22 %.

– Si les inégalités de revenu avant impôt et transferts ont augmenté, elles sont restées constantes après ceux-ci, voire ont diminuées depuis 2010. Les prélèvements et les transferts ont donc totalement absorbé l’augmentation des inégalités avant impôt.

– L’allègement des cotisations sociales sur les bas salaires explique en grande partie cette augmentation de la progressivité du système socio-fiscal depuis vingt-cinq ans.

Un système progressif sauf pour les 1 % les plus riches

La redistribution fiscale à l’œuvre s’opère à la fois par les prélèvements obligatoires et par les prestations sociales. Les prestations sociales jouent un rôle fondamental pour ceux dont les revenus sont les plus faibles, mais ne s’élèvent qu’à environ 10 % des prélèvements obligatoires (hors cotisations sociales contributives). La question de la justice fiscale se concentre principalement sur la répartition des prélèvements fiscaux et sociaux. Afin de décrire le profil redistributif du système fiscal, nous classons les individus en fonction de leur revenu individuel avant impôt et calculons le taux global d’imposition au sein de différents groupes de revenu.

Le graphique 4 s’étend ainsi des 10 % des personnes ayant les revenus les plus faibles aux 0,01 % les plus aisés. Si l’on divise cette population en cent unités, le premier percentile est composé du 1 % des individus ayant les revenus les plus faibles, le second percentile du 1 % suivant, et ainsi de suite. Le graphique présente les taux globaux de taxation en fonction du groupe de revenu avant impôt. Le taux de taxation est globalement croissant avec le revenu jusqu’au 1 % les plus riches (à partir du 99e percentile), où il atteint son maximum, puis décroît. Cette régressivité pour ceux dont les revenus sont les plus hauts est structurelle en France. Brièvement altérée par de nombreuses réformes progressives durant les années 2013 à 2016, la régressivité est réapparue en 2017-2018, compte tenu notamment des réformes portant sur l’ISF et la taxation des hauts revenus du capital.

– Les taxes indirectes et les cotisations sociales constituent les grandes forces régressives. En effet, les ménages les plus modestes paient un taux effectif de taxes indirectes supérieur aux plus riches car ils consomment une plus grande part de leur revenu. La régressivité des cotisations sociales non contributives vient à la fois d’un barème légèrement régressif et du fait que les revenus du capital (dont les bénéficiaires se trouvent principalement chez les plus riches) sont, à ce niveau, soumis à un taux plus faible que ceux du travail.

– Les taxes sur le capital et l’impôt sur le revenu sont les principaux vecteurs de la progressivité des prélèvements obligatoires. Néanmoins, l’impôt sur le revenu devient régressif à partir d’un certain niveau de revenu, du fait des nombreuses possibilités de réductions et de déductions. 

Ce survol de l’ensemble des prélèvements sociaux et fiscaux montre que le système français a réussi pendant trente ans à contrecarrer l’augmentation des inégalités de revenu avant impôt. Cependant, si l’ensemble des taxes et des prélèvements est globalement progressif, le système est en même temps structurellement régressif au plus haut de la distribution des revenus. Cette régressivité au sommet a en particulier été accentuée du fait de la politique fiscale menée par Emmanuel Macron.

 

Références et liens

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A. Bozio, B. Garbinti, J. Goupille-Lebret, M. Guillot et T. Piketty, « Trois décennies d’inégalités et de redistribution en France (1990-2018) », WID.world Issue Brief,2018/2, World Inequality Lab, septembre 2018

– 
A. Bozio, B. Garbinti, J. Goupille-Lebret, M. Guillot et T. Piketty, « Inequality and Redistribution in France, 1990-2018: Evidence from Post-Tax Distributional National Accounts (DINA) », WID.world Working Paper,2018/10, World Inequality Lab, septembre 2018

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