On dit que les Français sont râleurs. De fait, dans toutes les enquêtes internationales sur le bonheur, les conditions de vie ou la santé perçues, les Français donnent des réponses si négatives que leur pays se classe systématiquement en mauvaise position. Dans la dernière édition du Rapport mondial sur le bonheur (World Happiness Report, 2018), la France est classée 23e – loin derrière les pays d’Europe du Nord, mais aussi le Royaume-Uni, l’Amérique du Nord, l’Australie et Israël. De même, quand, dans l’enquête sociale européenne, on demande aux Français d’évaluer leur « niveau de bonheur » sur une échelle allant de 0 à 10, le score moyen obtenu (7,2) est très inférieur à la plupart des pays européens. Seul le Portugal fait pire (6,8), pendant que la Belgique et surtout le Danemark bénéficient de notes bien plus favorables (respectivement 7,7 et 8,3). 

Et c’est sans tenir compte de la situation sociale et économique de ces pays ! In fine, d’après les calculs du très sérieux Observatoire du bien-être (Y. Algan, E. Beasley et C. Senik, Les Français, le bonheur et l’argent, Éditions Rue d’Ulm, 2018), pour un même niveau d’éducation, de santé, de chômage, de revenu et d’espérance de vie, le seul fait d’être né en France réduit de 20 % la probabilité de se déclarer heureux. Du malheur d’être français ! 

Le constat mérite malgré tout quelques nuances, car les motifs d’insatisfaction se manifestent moins sur la situation personnelle des répondants que sur notre destin collectif. En effet, si une majorité de nos concitoyens exprime une relative satisfaction à l’égard de leur vie personnelle et de leur travail, c’est au sujet de l’évolution globale des conditions de vie qu’ils sont les plus pessimistes. D’après la plateforme « bien-être » de l’enquête conjoncture des ménages (Insee/Cepremap), deux tiers des répondants estiment ainsi que les conditions de vie de leurs enfants seront probablement moins bonnes que les leurs.

Énigmatique pour qui refuse les explications abruptement culturalistes (râler serait français, et inversement), ce pessimisme capté dans les enquêtes donne lieu à des interprétations diverses. Évoluerions-nous dans un contexte social et culturel qui inciterait à l’expression du mécontentement, là où d’autres – dans des situations similaires – seraient plus enclins à voir le positif ? Sommes-nous, comme certains ont pu l’affirmer, un pays gangrené par la défiance – envers les institutions, envers les autres, envers le reste du monde ? 

Ou bien ces expressions négatives doivent-elles être interprétées comme le signe d’une certaine exigence démocratique ? Comme le signe que l’on aime bien, puisque l’on châtie bien ? Autres sujets, autres travaux : il a pu être montré que ce ne sont pas les entreprises dans lesquelles le climat social est le meilleur qui connaissent le moins de conflits à terme. Considérées il y a peu comme des eldorados de la qualité de vie au travail, de nombreuses entreprises du numérique sont aujourd’hui en proie à des conflits sociaux majeurs, dénoncées par des salariés estimant que leur liberté d’expression a été bridée. Sociologues et psychologues du travail s’accordent pour dire qu’un certain niveau de controverse est finalement bénéfique aux organisations. Espérons donc que ce mécontentement français soit moins la manifestation d’une mauvaise humeur passive et inutile qu’une juste et nécessaire réaction aux désordres du monde. 

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