Le verbe colérer, qui signifiait être ou se mettre en colère, est tombé en désuétude depuis longtemps. Ne subsiste plus que son antonyme, décolérer, mais qui n’est curieusement employé qu’à la forme négative – comme pour souligner que les Français, toujours en rogne, ne décolèrent pas. Et quand la coupe déborde, le pays sort de ses gonds, monte sur ses grands chevaux, s’étrangle, suffoque, trépigne, rugit ou explose de colère. 

Il suffit parfois d’un seul mot pour exprimer une multitude de mécontentements. En 2004, malgré la loi d’urgence qui interdisait de manifester, les habitants du Caire ont vu une poignée de protestataires brandir des pancartes sur lesquelles était simplement inscrit Kifâya, c’est-à-dire « ça suffit ! » en arabe. Beaucoup d’Égyptiens se sont reconnus dans ce slogan énigmatique que chacun pouvait interpréter à sa guise : assez de corruption, assez de misère, assez d’arrestations arbitraires, assez de torture en prison, assez de collusion avec les États-Unis ou assez de Moubarak… 

Des millions de Français se sentiraient-ils représentés par un simple « Ça suffit » ? Quelle serait, aux yeux de chacun, la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase ? Le chômage persistant ? La hausse du prix des carburants ? La limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure ? L’« affaire d’État » Benalla ? 

Même dans cet îlot privilégié qu’est la France – l’un des rares pays au monde à bénéficier à la fois de démocratie, de prospérité, d’une sécurité sociale, d’un climat tempéré, d’un patrimoine et d’une production culturelle enviés –, la colère gronde. Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de dire ça suffit. 

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