Je tire un de mes motifs de désespoir d’un souvenir. Ce souvenir est celui de Pilote de guerre. La polémique y a lu une défense de Vichy. Stupéfait, j’ai relu moi-même mon livre pour y chercher l’explication d’un tel paradoxe. Je n’ai trouvé qu’une phrase qui pût s’affecter à Vichy : « Je ne servirai jamais de témoin à charge contre les miens. S’ils me couvrent de honte, j’enfermerai cette honte dans mon cœur et je me tairai. Un mari ne va pas de maison en maison instruire lui-même ses voisins de ce que sa femme est une gourgandine. » Mon habile défense de Vichy, si habileté il y avait, était véritablement machiavélique.

J’ai alors interrogé là-dessus le plus grand nombre de gaullistes possible. La commune mesure des réponses a été la suivante : « Vous défendez Vichy en justifiant l’armistice. – Mais je ne parle pas de l’armistice ! – Oui mais vous avez présenté aux Américains l’armée française comme vaincue ! » La réflexion était déconcertante. J’avais baigné dans le sanglant écroulement. J’avais trempé, si l’on peut dire, dans les cent cinquante mille morts militaires (plus quatre-vingt mille morts civiles) qu’avait coûtées, en quinze jours, une défense irréalisable. J’avais assisté, le nez contre, à la rupture de toute liaison. Et j’eusse dû, pour sauver Dieu sait quel principe obscur, soutenir aux États-Unis la thèse d’une armée inentamée et d’un matériel intact ? Je ne disais pas, dans mon livre, un seul mot qui pût incliner à penser quoi que ce soit au sujet du difficile problème de l’Afrique du Nord (mon départ de Bordeaux à bord d’un avion volé, où j’avais entassé quarante pilotes recrutés par moi-même dans la rue, montre là-dessus mes souhaits personnels). Je ne traitais que le problème tant discuté de la carence de la résistance militaire intérieure française.

Extrait, Écrits de guerre : les États-Unis, dans Œuvres complètes II, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1999

Vous avez aimé ? Partagez-le !